Episode 1

14 Gon 995

C’était une chaude matinée d’Auron à Dimzad City.
Ayant contre toute attente survécu à une nuit de poursuite en plein désert, ils passèrent les portes de la ville accompagnés de leur client, innocent -- ou du moins plus ou moins innocent, mais à Dimzad tout le monde est plus ou moins innocent -- qui en savait trop.
Cavil et Husker les attendaient devant la taverne dans laquelle Roxane se précipita avec l’homme qu’elle avait juré de protéger au prix de sa vie si nécessaire, ou éventuellement d’un meilleur contrat. Jose quant à lui enfonça ses lourds talons au milieu de la route poussiéreuse et compta tranquillement les massives balles de cuivre qui occupaient encore son énième chargeur de la nuit.
Les assassins de Thorne approchaient. Il pouvait les sentir. Dans l’agitation de la bataille et l’obscurité de la nuit, il n’avait pas vu combien étaient encore à leurs trousses, mais les nombres de l’avaient jamais effrayé.
Roxane sortit de l’humble auberge et arma à son tour son pistolet, un magnifique modèle Jiannais comme l’on n’en voyait plus que dans les mauvais films d’action Odysséens qui semblaient étrangement toujours vouloir faire des Jiannais d’horribles machines à tuer.
Elle ordonna d’un bref hochement de tête à Husker et Cavil de retourner à l’intérieur et de protéger le témoin, assurée de ses chances de survie seule avec Jose.
Les deux Meastiens s’échangèrent un dernier regard avant de se séparer et de se mettre à couvert, ayant repéré leurs postes de surveillance à la seconde où ils avaient franchi les murs de la ville.
Comme prévu, les hommes de main de Thorne ne se firent pas attendre. Certains à pieds, d’autres en voiture ou en motos, ils entrèrent dans Dimzad par dizaines, non, par centaines, naïvement convaincus que leur supériorité numérique suffirait à les sauver de l’impitoyable efficacité des deux mercenaires de Meast.
En un instant seulement, leur première ligne d’attaque tombait, criblée de balles, alors que Roxane dispersait le reste de leurs troupes d’une grenade jetée avec une précision presque chirurgicale.
Pris de panique, les sbires de Thorne voulurent trouver un abri mais il était trop tard. Jose en souleva deux d’une main et les jeta contre le mur de la prison avec une force telle que les fenêtres du bâtiment en explosèrent toutes. Roxane en tua dix à mains nues en moins de cinq secondes, si rapide qu’aucune balle ne pouvait plus l’atteindre...
ROXANE : Husker, tu es un bulard...
Bulard signifiait crétin. Flux n’avait pas eu à m’offrir la traduction car Roxane l’avait utilisé tous les jours depuis que nous étions arrivés à Dimzad.
JOSE : Désolé pour les fenêtres, mec.
ROXANE : Tu n’as jamais cassé les fenêtres, et ces types n’étaient pas si nombreux. Et je n’ai esquivé aucune balle !
JOSE : Je me disais bien, aussi, j’avais pas souvenir de tout ça...
HUSKER : J’embellis un peu, c’est mon devoir en tant que narrateur de l’histoire.
Il se tourna vers moi et termina rapidement, déconcentré par l’interruption de Roxane.
HUSKER : Ils tuent tout le monde, le client survit et meurt ironiquement quelques mois plus tard en s’étouffant avec un morceau de saucisse que j’avais pourtant cuit à la perfection malgré ce qu’en dit Cavil, et on les proclame Slayers de Meast.
ROXANE : Tu nous proclames Slayers de Meast.
HUSKER : Je suis le peuple de Dimzad, donc en quelque sorte, le peuple vous a proclamé.
Assis au milieu de la table, Glizz avait écouté aussi attentivement que moi le conte des Slayers dont il ne comprenait probablement pas un mot et qu’il avait déjà surement entendu plusieurs dizaines de fois depuis que Husker l’avait recueilli après ma première visite à Dimzad et embauché comme serveur au saloon.
M’ayant reconnue alors que j’étais assise à notre table habituelle le soir de notre retour de Malthura, le petit gobelin s’était précipité dans notre direction et avait bondi sur ma chaise pour serrer ma tête entre ses bras, me laissant juste le temps de baisser d’une main l’arme de Jose, qui s’apprêtait à le tuer par précaution.
ROXANE : Tu es le roi des bulards, Husker. Et mon verre est vide.
VISALA : Et qu’est-ce qui est arrivé à Thorne ?
ROXANE : Aux dernières nouvelles, il est toujours à la tête du cartel du Grand Bazaar. Il a été forcé de recruter du personnel pour remplacer l’ancien, évidemment... Bizarrement, ils nous apprécie beaucoup plus depuis. Il nous a même filé quelques contrats ces dernières années.
VISALA : Vous avez travaillé pour lui ? Après tout ça ? Il a essayé de vous faire tuer !
ROXANE : Ca fait partie du boulot. Ce n’était pas personnel. Je n’avais rien contre ses hommes non plus, mais je les ai tous descendus quand même.
VISALA : Mais vous ne faisiez que vous défendre.
ROXANE : Le monde est sans pitié, Visala. On fait ce qu’on peut pour survivre, lui aussi. Parfois, tuer un homme est le seul moyen de survivre. J’aurais peut-être agi de la même façon à sa place.
VISALA : Tu penses vraiment qu’il avait besoin de le tuer pour se protéger ?
ROXANE : Je n’en sais rien. Et je ne veux pas le savoir. C’est comme ça qu’on reste en vie dans notre milieu.
Elle finit son verre d’une traite et se leva d’un bond.
ROXANE : Je t’avais prévenue que cette histoire était minable. Si on passait nos vacances à faire quelque chose d’un peu plus constructif, comme continuer ton entraînement ?
Le sourire aux lèvres, j’attrapai Jose par la main et suivis la jeune femme à l’extérieur de la taverne et en direction du champ de tir que nous avions improvisé dans le désert à quelques mètres des portes de la ville.
Je bandai mon arc et tirai une flèche, touchant ma cible mais à quelques longs centimètres de son centre.
Husker vint se tenir derrière moi, posant une main sur la mienne et une autre sur ma hanche, comme il l’avait fait suite à chacune de mes flèches manquées depuis le début de mes exercices de tir, ce qui avait au moins eu pour avantage de m'inciter à mieux viser.
Comme à chaque fois également, Jose arma son revolver et le pointa vers la tête de son ami, forçant ce dernier à reculer contre son gré, levant les mains en signe d’innocence.
Roxane pouffa de rire, m’invitant d’un geste à ignorer les enfantillages de nos compagnons.
Retenant mon souffle et faisant de mon mieux pour ne pas me laisser déconcentrer par les hilarantes excuses de Husker, dont la défense devenait de moins en moins convaincante après chacun de ces incidents, je laissai partir une autre flèche, qui fit cette fois mouche.
Roxane sourit de toutes ses dents et alla la récupérer.
ROXANE : Impressionnant. Et malgré tout le bordel de ces deux crétins. Je crois que tu es prête à augmenter la distance.
Je souris, satisfaite de mes progrès, et me tournai vers Flux pendant que la jeune Meastienne éloignait les cibles de bois.
VISALA : Flux, où étais-tu, pendant tout ce temps ? La bataille de Dimzad, je veux dire.
Jose et Husker pouffèrent de rire en coeur, oubliant instantanément leur querelle stupide.
JOSE : Oui, Flux, raconte-lui le rôle majeur que tu as eu ce jour-là !
Il me mit une grande tape sur l’épaule, m'envoyant presque à terre, riant toujours aux éclats.
JOSE : En vrai il a servi à rien.
Flux poussa un soupire, et je regrettai presque ma curiosité.
FLUX : C’est une longue histoire... J’étais pour ainsi dire retenu...
HUSKER : Kidnappé.
FLUX : ... à Thalion. Et quoi que tu en dises, Jose, je ne regrette absolument pas d’avoir manqué cette nuit de chaos.
JOSE : Pff, tu te serais amusé comme un fou, et tu le sais très bien...
J’attrapai une flèche dans le carquois que Jose portai à l’épaule droite et m’apprêtai à tirer à nouveau, Roxane ayant terminé de déplacer les cibles, mais je fus interrompue par Cavil, qui vint nous rejoindre à ce moment précis, tendant une enveloppe à Roxane.
CAVIL : Roxy, courrier.
La jeune femme le fusilla du regard et lui ôta le morceau de papier des mains.
ROXANE : Ne m’appelle plus comme ça. Et pas de boulot. Nous sommes en vacances, et je ne veux aucun contrat pour le moment.
CAVIL : Je sais, mais ça vient de Regis.
ROXANE : Tu es certain ?
CAVIL : Je ne connais personne d’autre qui envoie encore son courrier ici par pigeon voyageur.
Roxane fronça les sourcils, intriguée, et lut la lettre. Quelques secondes plus tard, elle la fourra dans sa poche et se leva.
ROXANE : Ramassez vos affaires. Ton entraînement attendra Visala, on va à Dahl.
VISALA : Dahl ? Je croyais que tu ne voulais pas de travail.
ROXANE : Cette fois c’est différent. Regis est en danger.

A suivre...

Episode 2

Après cinq heures de route de Dimzad à Malthura, quinze heures d'avion jusqu'à Meyrang et quatre de train jusqu'au pied de Valordrim, montagne qui donnait son nom à la ville qui la culminait, j'enfonçai mes pied dans la légendaire neige de Dahl. Le vent glacial me balaya le visage avec une brutalité que j'accueillis à bras ouverts, le sourire jusqu'aux oreilles.
FLUX : Visala, bienvenue à Dahl.
VISALA : J'ai toujours rêvé de venir ici.
ROXANE : On aura le temps de faire du tourisme plus tard. Pour le moment, Regis a besoin de nous.
VISALA : Qui est Regis ?
JOSE : Une sorte de Ormus blanc, en moins flippant.
ROXANE : Regis est un vieil ami. Il est prêtre du Soleil. Pas le gars le plus passionnant que tu rencontreras. Mais il a toujours été là pour nous, et peu importe ce dont il a besoin, je lui dois bien ça.
FLUX : Regis n'est pas du genre à appeler à l'aide. Ou à avoir besoin d'aide, d'ailleurs, je ne lui connais aucun ennemi. Je me demande ce qui a pu lui arriver...
ROXANE : Moi aussi, et ça ne me plaît pas du tout. Dépêchons-nous.
Le vieux téléphérique grinçant que même les touristes avaient délaissé n'escaladait le pic inhospitalier qu'une fois par jour à huit heures du matin, forçant Flux à adopter son plus beau sourire et à offrir discrètement ses plus beaux billets pour convaincre le conducteur de faire une exception, nous évitant ainsi une nuit à l'auberge que Roxane, de plus en plus inquiète malgré les apparences qu'elle tentait en vain d'entretenir, n'aurait probablement pas supportée.
JOSE : Tu paniques pour rien, comme d'habitude.
ROXANE : Silence.
Cramponnée à mon siège métallique, un peu plus sujette au mal de l'air que j'étais prête à l'admettre, j'écoutais la conversation des deux Meastiens d'une oreille aussi distraite que curieuse, incapable de détourner mon regard du paysage Dahlgaard que je n'aurais jamais cru pouvoir contempler ailleurs que sur une carte postale.
Flux, pour sa part, lui aussi incapacité par le vertige, avait parfaitement accepté son sort : assis sur le sol métallique, le dos collé à la vitre par le froid, il gardait les yeux fermés comme si sa vie en dépendait.
VISALA : Tout va bien, Flux ?
FLUX : Oh, oui, rassure-toi. Je n'ai pas peur du vide, juste de la chute qui nous attendrait si cette épave venait à lâcher, notamment d'ici une quarantaine de secondes si mes calculs sont bons.
Jose marqua une courte pause dans sa conversation avec Roxane et pointa un doigt menaçant dans la direction de Flux.
JOSE : Flux, arrête de faire peur à Visala ou je secouerai cette cabine jusqu'à te faire vomir. Roxane, arrête de faire peur à moi, Regis va très bien, et il ira encore mieux quand on sera arrivés parce qu'on est ses meilleurs potes. Surtout moi.
Roxane sourit légèrement, visiblement apaisée. L'espace d'un instant je vis dans son regard ce que je ressentais moi-même aux côtés de Jose lors des épreuves les plus difficiles, le réconfort imperturbable que lui-seul savait offrir.
VISALA : Au passage, Flux ne me faisait pas vraiment peur.

Le téléphérique nous déposa à l'entrée du petit village de Valordrim, à trois kilomètres environ de la cabane isolée où vivait Regis. Le vieux sentier de pierres cassées, à peine visible sous l'épais manteau de neige qui le recouvrait continuellement, n'était pas habitué aux visites humaines, rendues peu alléchantes par l'impitoyable climat montagnard Dahlgaard et le vent marin tranchant que même la chaîne du Darfingaard ne parvenait pas à adoucir.
Le vieux chalet, que nous aperçûmes bientôt à l'horizon derrière la brume, était identique en tous points à ceux qui occupaient le coeur de la petite ville de Valordrim, mais une chaleur bienveillante semblait l'envelopper, lui conférant sa propre identité, et j'eûs comme l'impression d'avoir connu cet endroit toute ma vie. Je m'y sentais déjà en sécurité, à l'abri de la guerre et des menaces du monde, qui n'avaient épargné de X'arnas que les apparences.
La nuit tombait déjà, et c'est avec un soulagement évident que Roxane aperçut une faible lumière derrière les quelques petites fenêtres de la bâtisse et un nuage de fumée s'échappant paisiblement de l'étroite cheminée de pierre. Pressant le pas, elle nous dépassa, nous forçant à accélérer à notre tour pour ne pas la perdre de vue.
Arrivée devant la porte d'entrée, elle frappa et ne patienta que quelques secondes avant d'ouvrir, nous laissant juste le temps de la rejoindre.
Faisant irruption à l'intérieur, elle appela tout de suite son vieil ami, tentant toujours en vain de masquer la crainte dans sa voix.
N'obtenant aucune réponse, elle remarqua cependant une petite fille assise près du feu, mangeant tranquillement une pomme. Âgée de sept ou huit ans tout au plus et vêtue d'une tunique traditionnelle Dahlgaard, elle nous observa sans la moindre surprise ou inquiétude apparente, nous adressant même un léger sourire. Tentant de rester maîtresse d'elle-même, Roxane se précipita vers elle et posa un genou à terre pour la regarder dans les yeux.
ROXANE : Kyoko, où est Regis ?
Ce n'est qu'en entendant pour la première fois le nom de la fillette, à consonance Jiannaise, que je remarquai ses deux grands yeux bridés, aussi verts que sa robe de jute. Toujours aussi imperturbable, elle dévisagea Roxane en silence, n'aidant en rien la jeune Meastienne à se calmer.
ROXANE : Kyoko, je t'en supplie, pas maintenant... Parle-moi !
C'est une douce et rassurante voix masculine qui répondit à Roxane dans notre dos, et nous fîmes volte-face pour découvrir l'homme qui venait de rentrer, chargé de bois mort qu'il venait de récolter dans le froid de la forêt. Dépassant Jose d'une tête, il devait avoir une quarantaine d'années, même s'il n'en paraissait pas plus de trente. Ses longs cheveux roux attachés en queue de cheval et sa barbe tressée étaient couverts de neige et de petits pics de glace témoignant de la rudesse de l'hiver. La mâchoire carrée, il posa sur chacun de nous un regard chaleureux avant de laisser son visage se fendre d'un sourire sincère.
REGIS : Bienvenue à vous tous.
Roxane afficha un air soulagé et serra le Dahlgaard dans ses bras quelques instants avant de lui envoyer un violent coup de poing dans les côtes, visiblement agacée que l'homme ne flanche même pas.
ROXANE : "Besoin d'aide, danger de mort, urgent, Regis" ! Fais plus vague et dramatique, la prochaine fois !
REGIS : Te revoir me fait chaud au coeur aussi, Roxane.
Roxane ne m'avait pas menti : Regis était sans l'ombre d'un doute un homme religieux. Même si j'ignorais presque tout des croyances Dahlgaard, je reconnaissais sa tenue orange et blanche, typique des prêtres du soleil.
Manifestement ravi de me rencontrer, il me souhaita la bienvenue avec le même enthousiasme qu'à mes compagnons, me serrant dans ses bras de géant avant de m'observer de la tête aux pieds alors que Flux faisait les présentations :
FLUX : Regis, voici Visala, de Thalion. Elle a rejoint notre équipe il y a quelques mois.
REGIS : Visala... "Courage", en Dahlgaard. Une prêtresse de la lune portait le même nom il y a plusieurs siècles.
Il me sourit alors que Jose éclatait de rire.
JOSE : Ce mec raconte toujours les meilleurs histoires drôles !
Regis ignora le Meastien et posa ses yeux sur l'arc que je portais toujours accroché à mon épaule.
REGIS : Elle aussi était une guerrière. C'est un plaisir de te rencontrer, Visala.
Roxane avait poussé sa patience jusqu'au bout. Tirant une chaise, elle s'adressa à Regis d'une voix douce :
ROXANE : Regis, explique-nous ce qui t'arrive.
JOSE : Oups, ça va être chiant !
M'attrapant par la main, Jose m'entraîna à l'extérieur à grandes enjambées, claquant la porte derrière lui en lançant un vague "à plus tard les gars".

Nous courûmes dans la neige pendant plusieurs minutes, et je ne vis bientôt même plus la chaumière de Regis derrière nous. J’escaladai à bouts de bras les rochers les plus bas et les moins abruptes du Darfingaard aux côtés de Jose, qui se retournait régulièrement pour me rattraper d'une main, me sauvant d'une chute mortelle.
J'étais épuisée et en sueur malgré le froid intenable, mais la vue qui s'offrit à moi lorsque  Jose me hissa au sommet de la dernière pente me fit oublier toutes les peines qui m'y avait menée : juste sous mes pieds, s’étendant sur plusieurs longs kilomètres qui du sommet ne semblaient que quelques pas, la montagne plongeait le long d’une pente aussi dangereuse qu’enchanteuse droit dans les eaux glaciales de l’océan, disparaissant dans ses profondeurs inexplorées.
Je ne sentais plus le blizzard me mordre la peau à chaque rafale, ni la neige se loger dans mes chaussures lorsque mes pieds s’enfonçaient un peu trop profondément dans le sol poudreux. Le temps s’arrêta, comme il l’avait fait quelques semaines plus tôt au sommet de la Chute du Mort, et je réalisai qu’aussi merveilleux que tous ces endroits aient été, ils n’auraient rien valu si Jose n’avait pas été avec moi.
Je me laissai tomber au sol et m’installai confortablement dans la neige, ignorant tous mes sens qui hurlaient à l’aide. Jose s’allongea à côté de moi et sourit au ciel.
JOSE : Putain que j’aime Dahl.
VISALA : Je pourrais rester ici toute ma vie.
Il pouffa brièvement de rire.
JOSE : Non, idiote, tu mourrais.
Je ricanai à mon tour, m’étant doutée de sa réponse avant même de finir ma phrase.
Nous restâmes allongés quelques instants en silence, reprenant toujours notre souffle après notre séance d’escalade, puis Jose se redressa finalement, semblant se souvenir de quelque chose.
JOSE : Oh, au fait, je voulais te donner quelque chose...
Curieuse, je m’assis à mon tour et le regardai ôter de sous sa chemise un pendentif que je n’avais jamais vu, et je me demandai pourquoi Jose avait voulu le garder ainsi caché sous ses vêtements jusqu’à aujourd’hui. C’était une fine chaîne couleur rouille, probablement bien plus solide qu’elle le paraissait, à laquelle était accrochée ce qui ressemblait à une clé particulièrement élaborée et complexe, sans aucun doute de fabrication Meastienne, elle aussi portant les marques du passage des ans.
Jose passa la chaîne autour de mon cou et l’attacha derrière mes cheveux.
VISALA : Qu’est-ce que c’est ?
JOSE : La clé de mon coeur.
Je pouffai de rire, pensant à une blague, mais réalisai assez vite que Jose était pour une fois sérieux.
VISALA : La clé de ton coeur ? Je ne te voyais pas si romantique Jose.
Il sembla méditer un instant, puis comprendre ma réflexion, éclatant d’un rire grave que l’écho répéta tout autour de nous.
JOSE : Oh, non, vraiment, c’est la clé pour ouvrir mon coeur !
Pour toute explication, il ouvrit sa chemise, dévoilant sa poitrine pâle au milieu de laquelle, à mon inexprimable surprise, se trouvait une petite porte métallique, juste assez grande pour accueillir la serrure que ma clé semblait en effet ouvrir.
Je restai bouche bée, incapable de répondre quoi que ce soit, et espérant que Jose saurait attribuer mon silence à une demande de clarifications.
Il prit bien la parole, mais ne m’apprit pas grand chose :
JOSE : Plutôt pecc, pas vrai ?
La serrure se soulevait avec la respiration du Meastien, se laissant porter comme sur une vague dans un cliquetis mécanique que je n’entendis qu’en posant mon oreille fascinée contre sa poitrine.
VISALA : Jose, qu’est-ce que c’est que ça ?!
JOSE : Mon coeur. C’est un truc plein de sang, un peu comme une pompe à fluide de refroidissement sur un dirigeab...
VISALA : Je sais ce qu’est un coeur Jose, mais tu es conscient qu’ils sont plutôt... d’habitude... moins...
JOSE : Oh, le métal tu veux dire ? Ouais, longue histoire. J’ai pris une balle, il y a des années, la doc l’a remplacé par un en ferraille. Beau boulot hein ? Fabrication Meastienne, de la bonne qualité.
VISALA : Pourquoi... Je ne sais même pas par où commencer... Pourquoi as-tu une clé ?
JOSE : Je sais pas bien, mais ça doit être vachement sérieux, parce que c’est ce que Glass veut.
VISALA : Glass ? Je croyais que Glass voulait te renvoyer en prison.
JOSE : Oh non, ils me détestent là-bas. Je casse tous leurs gardes. Glass veut ce qu’il y a là-dedans.
VISALA : Et tu n’as aucune idée de ce dont il s’agit ?
JOSE : Nope. Roxane pense que c’est un truc de complot contre Meast.
VISALA : Tu n’as jamais regardé ?
JOSE : Oh si, mais ça ne marche pas. C'est Vionna qui l'a installé, personne d'autre ne sait comment l'ouvrir. C'est compliqué comme clé. Les serruriers gagnent une fortune, chez nous.
VISALA : Vionna ?
JOSE : Une vieille amie. C’est elle qui m’a réparé. Elle est encore à Meast. J’espère.
Il sembla pensif un instant, un demi-sourire aux lèvres, l’air nostalgique. Je lui laissai quelques secondes avant de l'interrompre.
VISALA : Pourquoi me donner la clé ?
Il referma soigneusement sa chemise.
JOSE : Si je meurs, les informations sont détruites. C’est pour ça que Glass veut me remmener là-bas. Mais sans la clé, ils n’obtiendront rien.
VISALA : Alors tu veux que je la garde pour toi ? Pour être sûre qu’ils ne trouveront pas ce que Vionna a caché ?
JOSE : Oh, nan, je voulais juste te faire un cadeau.
Je crus d’abord à du sarcasme, mais réalisai vite que Jose en était incapable. Pour toute réponse je lui souris et cachai à mon tour la clé sous mes vêtements.
J’aurais surement posé des dizaines d’autres questions, si à ce moment précis nous n’avions pas entendu un grognement derrière nous. Me tournant prudemment, je n’eus que le temps d’apercevoir l’énorme loup blanc en position d’attaque, prêt à bondir, avant que Jose plonge le premier, l’entraînant avec lui dans sa chute et disparaissant rapidement derrière les reliefs que nous venions seulement de vaincre.

A suivre...

Episode 3

Je saisis instinctivement mon arc, réalisant rapidement qu’il ne me serait d’aucune utilité tant que je n’aurais pas retrouvé Jose, qui portait mon carquois.
Déboulant maladroitement la pente la moins abrupte en vue, je criai le nom du Meastien, rassurée d’entendre presque aussitôt en guise de réponse un fort éclat de rire, qui ne m’aidait cependant en rien à déterminer s’il allait bien.
Me précipitant dans la direction du vacarme, j’arrivai après quelques instants en vue de Jose et du loup, qui avaient roulé sous un rocher et se débattaient à présent dans la neige déjà tâchée de quelques gouttes de sang.
La bête sauvage grognait de rage, envoyant de grands coups de crocs au hasard, manquant à plusieurs reprises de défigurer Jose.
Celui-ci, quant à lui, bien que blessé au visage et aux bras, semblait trouver cela hilarant, riant aux éclats en tenant par la gorge le loup blanc qui continuait de perdre ses forces, mordant l’air froid à pleines dents.
JOSE : Visala, regarde ce truc, il est adorable !
Sortant de mes pensées, un peu perturbée, bien que moins que je l’aurais été quelques mois plus tôt, avant ma rencontre avec les Slayers, je me précipitai dans la direction du duel, sans trop savoir ce que je ferais une fois sur place.
VISALA : Jose, mes flèches !
JOSE : Quoi ?
Etouffant un autre éclat de rire, il sembla soudain comprendre ce que je lui demandais pourtant très clairement, et afficha un air surpris.
JOSE : Non ! Tu vas quand même pas le tuer !
J’ouvris la bouche mais aucune réponse ne me vint en tête. Je cherchai rapidement un moyen de faire comprendre à Jose la gravité de la situation, que je jugeais pour ma part assez évidente alors que la pauvre bête se débattait de plus en plus hargneusement malgré l’épuisement, mais réalisai à contre-coeur que je n’avais pas assez de temps pour espérer faire entendre raison au Meastien.
VISALA : Qu’est-ce que tu veux que je fasse alors ?!
JOSE : Je sais pas, je croyais que tu étais vétérinaire !
VISALA : Pas dompteuse ! Il est affamé, pas malade ! Et je n’ai même pas fini mes études ! Et est-ce qu’on est vraiment en train d’avoir cette conversation maintenant ?!
Comme pour répondre à ma question, le loup parvint enfin à enfouir ses croc dans l’épaule de Jose, lui arrachant un vague cri de surprise.
JOSE : Hé ! Celui-là piquait. Ok tu m’as énervé.
Il enfonça brusquement son poing libre dans le museau du loup, l’envoyant à terre, sonné.
Se levant d’un bond, il l'observa quelques instants en silence, comme s’il attendait qu’il se relève.
JOSE : Bon, si j’ai bien compris...
Il prit le pauvre animal inconscient dans ses bras et se tourna vers moi.
JOSE : Maintenant tu peux le soigner ?
Je restai bouche bée.

J’ouvris la porte de la cabane et laissai passer Jose sous les regards ébahis de Roxane, Regis et Flux. Kyoko, elle, captivée par sa lecture, ne sembla même pas s'apercevoir de notre présence.
JOSE : Ouais, ouais, désolé, on s’est perdus, Visala était censée se souvenir de la route.
VISALA : Dans toute l’agitation j’ai un peu oublié, c’était très simple jusqu’à ce que tu commences à descendre la montagne en boul...
ROXANE : Ok, c’est passionnant mais si on commençait par la question la plus pressante, à savoir pourquoi est-ce que tu as un putain de loup mort sur ton dos, Jose ?
JOSE : Oh, ça.
Il laissa tomber la bête toujours assommée sur la table, lui arrachant un couinement de douleur.
VISALA : Il n’est pas mort, juste inconscient...
ROXANE : Encore pire ! On attend qu’il se réveille pour lui demander quelle sauce il préfère ou est-ce qu’on commence à se badigeonner maintenant ?
JOSE : Ok, premièrement, je crois que si il nous bouffait il en aurait pas grand chose à foutre de la sauce. C’est un loup, je suis presque sûr qu’ils cuisinent pas leur nourriture.
ROXANE : Ton deuxièmement a intérêt à être vraiment très bon...
JOSE : Deuxièmement, depuis quand tu as peur d’un loup ? C’est juste un gros chien.
ROXANE : Il y a une gamine dans la maison, bigot !
JOSE : Visala n’est pas une gamine ! Et Flux non plus !
FLUX : Et en parlant de gamine, on devrait peut-être éviter les grossièretés...

ROXANE : Je parlais de Kyoko !
Entendant son nom au milieu de la dispute, la fillette leva les yeux de son livre et s’approcha de la table d’un air curieux.
JOSE : Oh.
Il sembla réfléchir un instant, puis reprit son argumentation, interrompant Roxane qui avait voulu profiter de ce moment de silence pour mettre fin à la querelle sans queue ni tête.
JOSE : Et troisièmement, je l’ai amené ici pour que Regis le soigne, parce que Visala pouvait pas, je sais pas pourquoi.
VISALA : Est-ce qu’on doit vraiment avoir à nouveau cette conversation ?
ROXANE : Non !
REGIS : Vous lui faites peur.
Nos regards se tournèrent vers Regis, penché au-dessus de l’animal qui reprenait lentement connaissance, lui caressant doucement la tête. Ecartant d’un geste calme Kyoko, qui avait escaladé la table et ne semblait absolument pas craindre l’énorme loup qui m’aurait à son âge terrifiée (et ne me rassurait d’ailleurs pas entièrement aujourd’hui), il lui murmura un mot en Dahlgaard.
REGIS : Kyoko, huijn.
La petite fille descendit immédiatement et sortit tranquillement de la pièce, revenant presque aussitôt tenant à bouts de bras un bol d’eau fraîche qu’elle tendit à Regis. Celui-ci le posa sous le museau du loup, qui en but quelques gorgées sans ouvrir les yeux.
ROXANE : Tu vas vraiment le soigner ?
REGIS : Bien sûr.
Roxane laissa échapper un bref éclat de rire, secouant la tête d’un air incrédule.
ROXANE : Ce type n’arrêtera jamais de me surprendre.
FLUX : Que lui est-il arrivé ?
La question m’était manifestement destinée, mais c’est Regis, un sourire amusé aux lèvres, qui y répondit.
REGIS : Jose, sans aucun doute.
JOSE : Euh... Désolé. Visala était là aussi.
Je lui mis un coup de pied, me faisant certainement bien plus mal qu’à lui.
VISALA : Hé ! C’est toi qui l’as frappé.
JOSE : Pour te défendre !
VISALA : Il t’attaquait toi !
ROXANE : A chaque fois que je vous laisse seuls tous les deux, c’est la même chose. Vous êtes deux crétins...
Un grognement mit fin à notre conversation, et Flux attrapa Kyoko par la main, l’écartant à nouveau de la table sur laquelle elle était remontée.
Regis posa une main ferme sur l’épaule de la bête, et une autre sur sa hanche, l’empêchant de bouger alors qu’il reprenait connaissance et commençait à se débattre, sortant les crocs.
REGIS : Oraan, oraan...
Penché au-dessus du loup terrifié, Regis lui parlait d’une voix si douce et apaisante que je me sentis moi-même soudain très sereine, presque somnolente. Sa voix devint progressivement plus difficile à entendre alors que son visage s’approchait de plus en plus dangereusement du museau de la bête, qui contre toute attente semblait se calmer et ne se débattait presque plus.
REGIS : Kyoko, muijl.
A nouveau, la fillette sortit, et revint quelques secondes plus tard placer devant le museau du loup une assiette remplie de viande de lapin que celui-ci engloutit sans la moindre hésitation.
Regis sourit d’un air bienveillant.
REGIS : Vous voyez ? Il avait juste faim.
VISALA : C’est ce que j’avais dit...
Posant une main sur l’épaule de Kyoko, qui restait fascinée par la bête maintenant si calme que je ne la reconnaissais pas, le Dahlgaard s’adressa à elle d’une voix toujours aussi paisible.
REGIS : Comment veux-tu l’appeler ?
La fillette pencha la tête pour mieux plonger son regard dans celui du loup, et je remarquai pour la première fois ses deux yeux complètement blancs, réalisant pourquoi il avait eu tant de mal à mordre Jose : il était aveugle.
La fillette sourit et prononça enfin un seul et unique mot à peine audible.
KYOKO : Gwaimihr.
REGIS : Gwaimihr... Oeil de Lune. Très bien.
ROXANE : Tu vas... le garder ?
REGIS : Il est très maigre. Sa meute a du le rejeter car il ne parvenait pas à chasser assez. Il est si jeune... Il ne doit pas avoir plus de trois ou quatre ans. Je vais le nourrir, le soigner. Puis il sera libre de repartir vivre dans la nature.
FLUX : Tu es certain que c’est prudent ?
Pour toute réponse, Regis caressa affectueusement Gwaimihr entre les oreilles et le fit descendre de la table. Le loup s’assit tranquillement à côté de son nouveau maître sous nos regards stupéfaits. Jose se tourna vers Roxane, qui soupira d'avance.
JOSE : Je suppose que si je te demande maintenant si on peut adopter un loup aussi tu vas m’engueuler.
ROXANE : Grandes chances.
REGIS : Je ferais mieux de jeter un oeil à tes blessures aussi, Jose. Ca ne m’a pas l’air bien grave mais je ne voudrais pas que ça s’infecte. Prends une chaise, je vais chercher de quoi examiner ça.
Jose se laissa lourdement tomber dans l’un des confortables fauteuils de bois installés en face de la cheminée alors que Kyoko s’était à son tour approchée de Gwaimihr et lui caressait le museau, toujours aussi sereine.
JOSE : Parfait, pendant ce temps vous allez pouvoir m’expliquer ce qu’on fout ici.
ROXANE : A part trouver de nouveaux amis à Regis...
JOSE : De rien.
ROXANE : ... on a un tueur en série à attraper.
FLUX : Cinq prêtres du Soleil ont disparu ces deux dernières semaines. Aucun n'a encore été retrouvé.
VISALA : La police n’a aucune piste ?
FLUX : La police de Dahl a des moyens très limités et n'a généralement pas besoin de s'aventurer si loin des villes principales. Personne n'a été envoyé pour le moment, et sans preuves les autorités considèrent le problème comme une autre série de disparitions en montagne.
Regis entra dans la pièce, une petite trousse de cuir à la main. Il en sortit un flacon et un morceau de coton et commença à nettoyer les plaies que Jose avait au visage.
VISALA : Est-ce qu’on a des pistes ?
REGIS : Rien.
VISALA : Quel est le plan alors ?
ROXANE : Le plan, c’est qu’on attrape ce tueur, et qu’on lui casse la gueule nous-même.
VISALA : Ok, et comment on l’attrape ?
Roxane afficha un rictus, m’indiquant qu’elle avait tout prévu depuis longtemps.
ROXANE : On lui tend un piège, bien sûr.
Jose laissa passer un instant avant de briser le silence.
JOSE : Donc c’est un non définitif pour adopter un loup, ou est-ce que j’ai une chance de te faire changer d’avis ?

A suivre...

Episode 4

La religion Dahlgaard reposait sur l’adoration du Soleil et de la Lune, le premier représentant la bravoure et l’honneur, l’autre la paix et la sagesse. Si les prêtres du Soleil priaient à la lumière du jour jusqu’à la tombée de la nuit, certains préféraient commencer quelques heures avant l’aube afin de communier avec la Lune qui occupait une place tout aussi majeure que son frère -- les Dahlgaards considéraient le Soleil et la Lune comme frère et soeur -- dans leur culte.
C’est pourquoi, afin de ne pas briser suspicieusement la routine de Regis, que le tueur avait certainement étudiée s’il prévoyait maintenant de s’attaquer à lui, nous nous réveillâmes avec lui à quatre heures du matin.
Roxane, pleine d’adrénaline, ne montrait aucun signe apparent de fatigue contrairement à Flux et moi. Jose pour sa part n’existait que sous deux états : endormi ou entièrement éveillé, et l’odeur du petit déjeuner que nous avait préparé Regis avait facilité la transition déjà naturellement rapide de l’un à l’autre.
Kyoko avait également le regard aussi vif que la veille au soir alors qu’elle dégustait son potage en silence, remplissant ma tête de dizaines de nouvelles questions à son sujet, qui eurent au moins pour avantage de m’aider à garder les yeux ouverts.
ROXANE : Récapitulons : Jose et moi partirons les premiers. Je ferai un premier tour du temple, puis nous resterons tous les deux cachés à quelques dizaines de mètres seulement, prêts à intervenir rapidement en cas de menace.
JOSE : Comme elle dit, ouais.
ROXANE : Puis, Regis, tu arriveras comme à ton habitude. Agis comme si nous n’étions pas là. Ne fais rien qui sorte de l’ordinaire.
Le regard de la jeune femme se tourna alors vers Flux et moi.
ROXANE : Flux et Visala, vous attendrez cinq minutes avant de suivre Regis à une distance raisonnable -- cinq cent mètres environ -- puis vous vous arrêterez au milieu des arbres sur la colline que j’aurai marquée en face du temple. De là, vous aurez une bonne vue sur lui pendant toute la journée. Flux, j’ai besoin de tes yeux. Reste alerte. Visala, si tu vois le tueur, tu sais quoi faire.
VISALA : Comment saurai-je que c’est bien lui ?
REGIS : Kyoko connait tous les prêtres de Valordrim et ses alentours. Elle saura.
VISALA : Elle me le dira ?
REGIS : Elle parle. Juste... peu.
FLUX : Et si le tueur est quelqu’un que vous connaissez ? Un autre prêtre, même.
REGIS : Impossible. Notre ordre est très strict, toute vie est sacrée. Aucun prêtre ne serait capable de tels actes.
ROXANE : Non, Flux a raison, il faut s’attendre à tout. Mais j’y ai pensé aussi. Regis a convaincu tous les prêtres de partir en retraite dans la montagne pour la journée. Il sera entièrement seul à Valordrim. Du moins, c’est ce que pense notre cible. C’est pour ça que je sais qu’il attaquera aujourd’hui : toutes ses victimes ont été tuées de cette façon. Elle étaient seules, et il savait toujours exactement où les trouver.
FLUX : De toute évidence notre homme est bien informé.
ROXANE : Et il ne laissera pas passer une occasion comme celle-ci. Et je serai là pour l’accueillir.
Le regard noir, folle de rage à l’idée que quiconque ose s’en prendre à un de ses plus vieux amis, Roxane prit une grande inspiration avant de poursuivre.
ROXANE : Entendu ? Bien. Mangez, vous aurez besoin de force. Jose, on y va.
FLUX : Roxane, une dernière chose. Est-ce que nous sommes vraiment obligés de garder le loup avec nous ?
La jeune femme haussa les épaules, bien plus à l’aise que la veille avec l’énorme bête.
ROXANE : Kyoko s’en occupera.
Le fillette sourit.

FLUXVisala descend. Roxane va nous tuer si elle te voit. Et elle t’a probablement déjà vue.
Escaladant aussi adroitement que j’en étais capable l’un des gigantesques pins qui nous servaient de couverture, je scrutai l’horizon pour mieux me familiariser avec les environs si nous devions les surveiller toute la journée. Au loin, les premiers rayons du soleil tentaient timidement de percer l’obscurité, m’offrant juste assez de lumière pour discerner la silhouette de Regis, immobile depuis maintenant plus d’une heure, agenouillé face à une statue de pierre de plus de quinze mètres de haut représentant un soleil à moitié masqué par un croissant de lune. Devant le Dahlgaard, un autel de glace était recouvert de fleurs et de branches conservés par le froid polaire de Valordrim auquel je m’étais contre toute attente rapidement habituée et que je ne remarquais même plus : la vie avec les Slayers avait déjà commencé à m’endurcir, à ma plus grande satisfaction.
VISALA : Je veux juste voir où ils sont cachés.
FLUX : Visala, tu ne trouveras pas Roxane.
VISALA : Non, mais si je viens seulement maintenant de grimper dans un arbre, Jose a déjà dû avoir l’idée il y a un moment.
FLUX : Si Roxane a appris de ses erreurs elle aura choisi un abri sans arbres à proximité. Ne t’étonne pas si elle en fait de même pour toi à partir de maintenant.
VISALA : Personne ne va me repérer ici, Flu...
Comme j’aurais certainement dû m’y attendre, une branche céda sous mes pieds, me précipitant sans douceur dix mètres plus bas, où seul l’épais manteau de neige me sauva d’une jambe cassée. Un peu sonnée, je pris la main que Flux me tendait pour m’aider à me relever sous le regard amusé de Kyoko, confortablement assise sur un lit de racines, le dos enfoui dans la fourrure de Gwaimihr qui la protégeait du froid, se comportant lui aussi étrangement comme s’il l’avait toujours connue.
FLUX : Au moins tu n’as pas crié en tombant. Jose n'avait pas eu la même présence d'esprit.
VISALA : J’étais déjà par terre quand j’ai compris ce qui m’arrivait.
Dissimulant mal son air amusé, Flux me rendit mon arc et mon carquois, que je lui avais confiés le temps de mes acrobaties, et nous retournâmes nous asseoir près de nos compagnons.
Je jetai un oeil sur la montre du Meastien, qui l’inclina juste assez pour me permettre d’y lire l’heure.
FLUX : Nous sommes ici depuis deux heures. Patience, ma chère Visala, la journée ne fait que commencer.
VISALA : Ca ne me dérange pas. Au contraire, ça tombe bien, on ne passe jamais de temps ensemble, toi et moi. 
Il esquissa un sourire.
FLUX : C’est vrai. Tu ne regrettes toujours pas de nous avoir suivis alors ? Ta famille ne te manque pas trop ?
VISALA : Je sais où les trouver si je veux les voir. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai quitté Odyssée. Je sais que même dans dix ans, mes parents seront toujours à Farens, dans la maison que j’ai laissée il y a des années...
FLUX : Dix ans ? Tu ne comptes pas les revoir avant ?
VISALA : Et toi ? Ta famille est à Meast, non ? Depuis combien de temps tu ne les as pas vus ?
Il sembla pensif quelques instants, ce qui n'estompa pas son éternel air jovial pour autant.
FLUX : Roxane est ma famille, maintenant, et Jose, contre toute attente. Et toi aussi, à présent.
Je lui souris à mon tour.
VISALA : Exactement.
Mes yeux se posèrent alors sur la petite fille et son loup, et toute mes questions me revinrent soudain en tête, me rappelant que j’étais justement en compagnie de la personne la plus à même d’y répondre.
VISALA : Et Kyoko ?
FLUX : Kyoko n’a jamais connu ses parents. Ils l’ont confiée aux prêtres de Valordrim alors qu’elle n’avait que quelques semaines. C’est Regis qui s’en est occupé toute sa vie. D’après les informations qu’il a pu obtenir, son père était Dahlgaard et sa mère Jiannaise.
VISALA : Pourquoi parle-t-elle si peu ?
FLUX : Je suppose que tu serais pareille si tu avais été élevée par Regis. Les prêtres Dahlgaards peuvent passer des heures entières à méditer sans un mot, et Regis en est l’exemple parfait.
VISALA : Elle doit se sentir si seule...
Flux remarqua la tristesse dans mes yeux et s’empressa de l’en chasser en posant sur la fillette un oeil attendri. Blottie contre Gwaimihr, elle dessinait délicatement dans sa fourrure les mêmes symboles anciens que Regis portait tatoués sur les bras à l’aide d’un petit pot de peinture bleue qu’elle avait sorti de sa poche.
FLUX : Je ne m’inquièterais pas pour elle si j’étais toi.
Je ris doucement, agréablement influencée par sa bonne humeur.
VISALA : Tu trouverais un côté positif à n’importe quoi, pas vrai ?
Il m'adressa un regard complice, satisfait d’être parvenu à élargir mon point de vue.
VISALA : Je me suis toujours demandé comment Roxane et toi étiez devenus si proches en ayant si peu en commun. Je comprends, maintenant.
Je me redressai pour admirer le lever du soleil au-dessus du rocher enneigé derrière lequel nous étions réfugiés, juste à temps pour apercevoir une silhouette, elle-même cachée derrière un arbre, s’approchant discrètement du temple, manifestement peu désireuse d’être repérée.
FLUX : Là-bas ! Kyoko, tu le connais ?
VISALA : Je l’avais vu aussi !
FLUX : Ce n’est pas un concours, Visala.
VISALA : Mais si c’en était un j’aurais gagné.
Kyoko jeta un oeil furtif dans la direction que nous lui indiquions, puis secoua légèrement la tête.
FLUX : Elle ne le connait pas.
VISALA : J'étais sure qu’elle ne dirait rien.
Pour toute réponse, la fillette afficha un sourire amusé et gratta Gwaimihr entre les oreilles. Flux, qui n’avait pour sa part pas quitté la scène des yeux, saisit brusquement mon arc et le fourra dans mes mains, me forçant à retourner mon attention vers l’homme pour comprendre ce qui l’avait tant alarmé.
VISALA : Oh merde ! Je veux dire, bigot !
J’encochai rapidement une flèche et visai l’intru, qui à défaut de ralentir tenait à présent un vieux pistolet qu’il chargea rapidement.
Tentant de me souvenir de mes leçons de tir à Dimzad, je retint mon souffle et me décontractai, puis je lâchai la flèche. Celle-ci sembla voler une éternité avant de toucher sa cible, ou plutôt de la manquer de quelques centimètres, se plantant dans l’arbre derrière lequel le tueur était dissimulé. Pris d’un sursaut de surprise compréhensible, l’homme se jeta à terre et entreprit de ramper hors de ma portée, me forçant à rapidement saisir une autre flèche afin de l’empêcher de nous échapper.
FLUX : Qu’est-ce que tu fais ?!
VISALA : Je ne suis pas encore experte ! Je l’avais presque !
FLUX : Si tu essayais de le décapiter ! Roxane avait dit les jambes !
J’encochai ma flèche, me concentrant plus sur sa trajectoire.
VISALA : J’étais juste quelques dizaines de centimètres trop haut !
FLUX : Vise les pieds si tu préfères, mais ne le tue pas !
J’ignorai Flux, ainsi que le reste du monde à l’exception de ma flèche et de ma cible, et le temps sembla à nouveau ralentir, m’offrant les quelques précieuses secondes dont j’avais besoin.
J’allais tirer, mais je me retins et baissai mon arc lorsque quelque chose attira mon attention : l’homme ne bougeait plus. Pire, il avait à présent le visage enfoui dans la neige.
Déboussolée, je me tournai vers Flux dans l’espoir que celui-ci me donne une explication, mais lui aussi semblait confus. Fronçant les sourcils, il posa alors son regard sur Kyoko, derrière nous, qui tenait encore d’une main son lance-pierre et observait fièrement sa proie assommée au loin.

A suivre...

Episode 5

REGIS : Laissez-le respirer.
ROXANE : Kyoko, éloigne le loup. Visala, éloigne Jose.
L’homme était âgé d’une quarantaine d’années tout au plus et était vêtu de noir de la tête aux pieds, ce qui aurait probablement été une bonne idée de camouflage à peu près partout dans le monde à l’exception de Dahl.
Sa longue chevelure blonde et sa barbe fournie m'entraînaient à déduire qu’il était natif de la région mais je ne pouvais en être certaine.
REGIS : Il revient à lui.
Je poussai Jose de toutes mes forces pour l’empêcher de coller son visage à celui de l’étranger qui n’apprécierait surement pas le réveil particulier dont Jose avait le secret, même si je m'y étais pour ma part assez rapidement habituée.
L’homme ouvrit lentement les yeux et se redressa brusquement, comme s’il tentait de rattraper en un instant les quelques minutes qu’il avait manquées.
LUI : Où est-il ?!
Roxane lui planta très calmement son talon contre la poitrine, le forçant immédiatement à se rallonger dans la neige.
ROXANE : Qui, Regis ? Rassure-toi, tu ne l’as pas encore tué.
L’homme afficha un air de confusion sincère qui vira assez rapidement à l’agacement, que Roxane ne tarda pas à partager en réalisant notre erreur.
LUI : Quoi ? Non, le tueur ! Inconscients ! Il peut être n’importe où !
Bien qu’intriguée, Roxane ne baissa pas pour autant sa garde.
ROXANE : Parle vite.
Il tenta en vain de repousser la Meastienne mais comprit rapidement que raisonner était sa seule issue.
LUI : Ce n’est pas moi que vous cherchez ! Votre ami est en danger, et vous aussi maintenant ! Quelqu’un s’en prend aux prêtres du Soleil !
JOSE : On est un peu au courant, en fait. C’est pour ça qu’on est là, pas pour le tourisme.
VISALA : Un peu pour le tourisme aussi, mais surtout pour ça.
Un grognement mit fin à notre conversation, et nous nous tournâmes comme un vers Gwaimihr, qui s’était mis en position de défense devant Kyoko et fixait droit derrière nous en direction des bois.
Jose fut le premier à sortir son arme, mais le loup avait déjà presque rattrapé sa proie. Il plongea entre les arbres et disparut en un éclair, et nous n’entendîmes qu’un cri d’horreur étouffé suivi du bruit désagréable de plusieurs os brisés en morceaux.
KYOKO : Gwaimihr !
Passant devant nous, la fillette se précipita vers son animal de compagnie, ignorant Roxane et moi qui l’implorions de ne pas bouger.
Je saisis mon arc, mais à nouveau il ne me servit à rien puisque Gwaimihr sortit calmement des buissons quelques secondes plus tard, le museau tâché de sang.
Jose se tourna vers moi, fronçant les sourcils.
JOSE : Et là, tu peux le soigner ?
FLUX : Je ne crois pas que ce soit son sang, Jose.
JOSE : Depuis quand tu es vétérinaire, toi ?
Regis et Roxane était déjà arrivés à hauteur de la bête, et le Dahlgaard risqua un regard derrière les branches, affichant vite un air déçu.
REGIS : Trop tard, il l’a tué.
Jose et moi nous approchâmes par curiosité pour découvrir à notre tour le deuxième intrus, et je fis de mon mieux pour cacher mon dégoût à la vue du torrent de sang qui coulait encore abondamment de sa gorge déchiquetée.
VISALA : Oh, c’est dégueulasse...
Jose posa une main réconfortante sur mon épaule et se pencha pour me regarder dans les yeux d’un air que j’aurais trouvé condescendant si je ne l’avais pas connu si bien.
JOSE : A Meast, on dit «glurot».
Flux nous rattrapa à contre-coeur et afficha une grimace écoeurée à la vision du cadavre.
FLUX : Oh, dégueulasse...
JOSE : Oui, on dit aussi ça des fois.
Je poussai Kyoko d’une main, la forçant à rester derrière moi, un peu perturbée par le calme indifférent que même la scène troublante qui s’offrait à elle ne parvenait pas à effacer de son visage rond.
Elle agita un doigt vaguement accusateur sous le museau du loup -- encore un geste que j’aurais précautionneusement évité à sa place -- le réprimandant d’une voix douce.
KYOKO : Méchant, Gwaimihr. Mal.
REGIS : Je n’y crois pas...
ROXANE : Quoi ?
REGIS : Cet homme... Il fait partie du Culte du Ciel Infini...
ROXANE : Le Culte du quoi ?
FLUX : Une nouvelle religion. Elle est apparue il y a quelques mois seulement, mais est parvenue à recueillir de nombreux adeptes en peu de temps dans tout Dahl, et à même commencé à traverser les frontières.
REGIS : La religion Dahlgaard est respectée dans tout le pays, et la naissance d’un nouveau culte n’était pas appréciée de tous. Certains des autres Prêtres sont convaincus depuis le début que le Culte du Ciel Infini est à l’origine des meurtres, mais j’ai toujours refusé de les croire... Jusqu’à maintenant... Cette toge, ce pendentif... Cet homme appartient à leur ordre.
Notre premier suspect prit alors à son tour la parole, à mon grand étonnement puisque je l’avais déjà oublié, contrairement à Roxane qui ne l’avait pas quitté des yeux depuis son réveil.
LUI : Le Culte du Ciel Infini n’est pas à l’origine de ces disparitions.
ROXANE : Et qu’est-ce qui te fait dire ça ?
Il soupira, conscient qu’il n’avait à présent d’autre option que de se démasquer.
LUI : Ce sont eux qui m’ont envoyé protéger votre ami.

JOSE : Alors, tu étais payé ou quelque chose comme ça ? Pour la protection de Regis, j’entends, parce que je dirais qu’une bonne partie de cette récompense devrait nous revenir, maintenant qu’on a fait ton boulot.
FLUX : Je suppose que le mérite revient en grande partie à Gwaimihr.
JOSE : Qui ne serait pas là sans moi.
VISALA : Tu as failli le mettre dans le coma.
JOSE : Pour te défendr...
ROXANE : Silence, tout le monde.
Roxane poussa un soupire et se tourna vers l’espion du Culte.
ROXANE : Raconte-nous tout ce que tu sais.
Nous étions revenus à la cabane de Regis, où nous espérions garder notre conversation secrète, tant que nous n’en savions toujours pas plus sur notre ennemi. Notre invité, Lohir, puisque nous connaissions à présent son prénom, se tenait face à la cheminée, manifestement mal à l’aise au milieu de tant de regards inquisiteurs.
LOHIR : Le Culte du Ciel Infini n’est pas si différent de la religion Dahlgaard. Il s’en inspire sur de très nombreux principes, dont celui de la violence. Toute vie est sacrée pour nous, quoi qu’en disent ceux qui sont opposés à notre foi. Nous savions que nous aurions à surmonter certains obstacles avant d’être enfin acceptés à Dahl. Mais nous ne nous étions pas attendus à être accusés de telles atrocités.
FLUX : Donc vous pensez être victimes d’un complot visant à vous faire passer pour coupables de ces meurtres ?
ROXANE : Pourquoi est-ce que c’est toujours un complot ?
LOHIR : Mes supérieurs l’ont suspecté dès les premiers meurtres, et les rumeurs nous accablant se propageaient trop vite pour n’être due qu’à la méfiance populaire à notre égard. C’est pourquoi ils m’ont envoyé pour enquêter. Quiconque est à l’origine de ces crimes n’en a pas qu’après les prêtres du Soleil, mais après nous aussi.
ROXANE : Cet homme, dans la forêt. Quelqu’un que tu connais ?
Lohir baissa les yeux, l’air perplexe.
LOHIR : Malheureusement oui. Il a rejoint notre groupe il y a quelques semaines. Depuis le début il semblait distant, et était généralement introuvable au moment des meurtres. C’est pourquoi mes supérieurs le soupçonnaient d’y être lié. Je le suivais quand vous m’avez trouvé.
FLUX : Pourquoi est-ce qu’un des vôtres chercherait à vous faire accuser ?
LOHIR : Rejoindre le Culte du Ciel Infini faisait peut-être partie de son plan.
ROXANE : Si ce type avait un plan. C’était peut-être juste un taré de plus qui tuait sans but.
LOHIR : C’est ce que nous espérions aussi. Jusqu’à hier.
ROXANE : Hier ?
LOHIR : Deux prêtres du Soleil ont à nouveau disparu, la même nuit, à plus de cinquante kilomètres l'un de l'autre.
FLUX : Alors c'est une attaque organisée.
REGIS : Et il y en aura d’autres...

ROXANE : On ne va pas attendre que ça arrive.
Elle se tourna vers Lohir, le visage plus déterminé que jamais.
ROXANE : Ce type vivait au monastère ?
LOHIR : Oui.
ROXANE : L’un de vous a fouillé son dortoir ?
LOHIR : Nous y avons pensé, mais n’avons pas encore pu prendre le risque. Nous ne sommes toujours pas certains qu’il était seul parmi nous.
ROXANE : Prudent. D’autres suspects ?
LOHIR : Nous recevons souvent de nouveaux confrères. Plusieurs sont arrivés en même temps que lui. Il peuvent tous être innocents, mais aucun moyen de s’en assurer.
ROXANE : Tu me sous-estimes.
FLUX : Roxane, qu’as-tu en tête ?
Elle afficha un rictus victorieux d’avance.
ROXANE : Le meilleur moyen d’attraper un espion est d’en envoyer un autre.
REGIS : Impossible. S’il s’agit bel et bien d’un complot à travers le pays tout entier, ils t’attendront. Quiconque s’attaque à moi devait savoir que je demanderais ton aide.
ROXANE : Tu as peut-être raison. Mais qui alors ?
FLUX : Jose et moi sommes aussi connus que toi à Valordrim.
VISALA : Personne n’allait proposer Jose, Flux.
JOSE : Ouais, Flux, réfléchis un peu.
LOHIR : Si un autre traître se cache au monastère, il doit déjà se méfier de moi.
ROXANE : Et Regis étant l’une des cibles, il est évidemment hors de question de l’envoyer là-bas.
Attendrie par Kyoko, qui était depuis plusieurs minutes assise près de la cheminée, lisant doucement son livre préféré à Gwaimihr, je ne remarquai pas tout de suite le court silence qui suivit. C’est seulement lorsque Flux toussa, plus fort et moins naturellement qu’à son habitude, que je tournai à nouveau mon attention vers la table du salon, autour de laquelle la conversation était temporairement figée, ainsi que tous les regards qui à ma grande surprise m’était adressés.
VISALA : Quoi ?
Je repensai rapidement au sujet de notre discussion et manquai de sursauter en réalisant ce qui était en train d’arriver.
VISALA : Quoi ?! Non, je...
ROXANE : Visala, il ne reste que toi.
VISALA : Et... Euh... Kyoko ! Pourquoi pas Kyoko ?
FLUX : Tu enverrais vraiment une enfant de huit ans dans un monastère potentiellement rempli de tueurs ?
VISALA : Potentiellement ! Et elle a un loup comme garde du corps !
ROXANE : J’ai bien mentionné qu’il s’agissait d’une mission d’espionnage ?
A court d’idées, je parcourus rapidement la pièce des yeux, à la recherche d’un plan de secours.
VISALA : Il est trop tard pour reconsidérer Jose ?
Le Meastien fut le premier à briser le silence qui répondit sans surprise à ma question :
JOSE : Moi je veux bien, hein, mais...
Je baissai la tête dans un soupire.
VISALA : Amenez-moi une toge...
A suivre...

Episode 6

ROXANE : Tu as bien compris ? La seconde où tu dis le mot, j’envoie la diversion.
FLUX : Est-ce que nous sommes tous certains que "broccoli" est le meilleur choix de signal de secours ?
VISALA : Il faut que je sois capable de m’en souvenir sous la pression !
LOHIR : Je ferai de mon mieux pour garder tout le monde aussi loin que possible des dortoirs.
Je réalisai qu’en plus de ma panique apparente, la façon dont je remuais depuis quelques minutes, me débattant avec ma toge, ne faisait rien pour rassurer Roxane, qui commençait à se demander -- tout comme moi -- si me confier cette mission était une bonne idée.
VISALA : Ce truc gratte ! Comment vous faîtes pour le porter tout le temps ?
ROXANE : Visala, nous serons tous là, à quelques dizaines de mètres, il ne t’arrivera rien, je te le promets.
VISALA : Oh, je sais. Je n’ai pas peur pour ça.
ROXANE : Vraiment ?
Les mots étaient sortis de ma bouche malgré moi, et me surprirent autant que Roxane. Tentant alors d’analyser l’angoisse dont je faisais pourtant clairement l’objet, je compris que je ne m’étais pas souciée une seule seconde des risques que j’encourais.
VISALA : Je sais que je suis en sécurité. J’ai confiance en vous.
ROXANE : Alors qu’est-ce qui t’inquiète tellement ?
VISALA : Je suppose que... je dois seulement avoir peur de ne pas être à la hauteur.
La jeune Meastienne afficha un air soulagé.
ROXANE : N’oublie pas ce que je t’ai dit : garde la tête froide. Tant que tu as le contrôle sur toi-même, tu as le contrôle de la mission.
Je hochai la tête, me répétant ses conseils à voix basse. Roxane m’adressa un sourire réconfortant et me mit une tape sur l’épaule.
ROXANE : Si j’avais douté de toi ne serait-ce qu’un instant, je ne t’aurais jamais laissée y aller.

Lohir poussa non sans effort l’un des deux battants de la gigantesque porte de bois du temple du Culte, et même si les quelques torches qui éclairaient l’intérieur ne parvenaient qu’à chauffer faiblement le long hall d’entrée du bâtiment de pierre, il faisait si froid dehors que la vague de chaleur qui m’accueillit manqua de me faire suffoquer le temps de m’habituer à la différence de température.
Plusieurs autres prêtres vaquaient à leurs occupations, et certains s’inclinèrent respectueusement en passant devant nous, ou posèrent une main amicale sur mon épaule en signe de bienvenue. De temps à autres, Lohir me présentait à ses amis, leur indiquant qu’il m’avait rencontrée au téléphérique en quête de spiritualité et que je souhaitais me rapprocher du Ciel Infini, et autres explications auxquelles je n’aurais probablement pas cru mais qui semblaient ici suffisantes.
Au bout de quelques minutes, il m‘annonça d’une voix suffisamment forte pour qu’elle paraisse naturelle qu’il allait me mener aux dortoirs afin que je puisse m’installer, et m’entraîna alors dans un couloir de plusieurs dizaines de mètres qui descendait sous le temple au coeur de la montagne.
S’assurant que nous étions seuls, il ferma la porte de la pièce derrière nous avant de laisser enfin tomber le masque de sérénité qui semblait l’étouffer depuis que nous étions entrés. Ses gestes devinrent plus rapides, son souffle plus saccadé, et il se dépêcha de me donner ses dernières instructions, s’éloignant déjà d’un pas pressé :
LOHIR : Kohlb, le tueur, dormait ici, il y a peut-être des indices cachés. Je vais rejoindre les prêtres dans le hall, si d’autres travaillaient avec lui ils ne tarderont pas à venir s’assurer que je ne découvre rien de compromettant. Je vais me débrouiller pour te laisser assez de temps, mais fais vite.
Sans un mot de plus, il disparut, me laissant seule au milieu de la grande pièce circulaire. Ne perdant pas une seconde, je fouillai déjà les quatre lits en prenant soin de ne pas les défaire mais ne trouvai rien, ni sous les draps ni entre les lattes. Quatre petits coffres étaient également installés contre le mur mais ne contenaient que des vêtements, quelques pendentifs et des livres de prière.
Je soulevai d’une main le col de ma toge pour approcher de ma bouche le micro qui y était dissimulé.
VISALA : Les gars, cet endroit a l’air ennuyeux à mourir...
N’entendant aucune réponse, je me souvins que je ne portais pas d’oreillette et que la communication avec mes compagnons n’était qu’à sens unique.
Déjà à court d’idées, je me laissai tomber sur un lit et poussai un soupire de frustration, regardant partout autour de moi à la recherche d’un indice, mais le mobilier était très limité et la décoration, à l’image de celle du reste du temple, ne consistait qu’en quelques tapisseries accrochées aux murs et au plafond. Sans grande conviction, je m’approchai de l’une d’elle, plus par curiosité que par espoir d’y trouver quoi que ce soit d’intéressant. Elle représentait comme beaucoup d’autres -- la plupart, en fait -- le ciel, partagé au milieu entre la nuit et le jour, et l’accent était bien entendu mis sur le soleil et la lune. L’attention de l’artiste au détail me fascinait. Plus je m’approchais, plus le paysage devenait réaliste, et j’avais l’impression de pouvoir discerner chaque flocon de neige recouvrant la montagne.
Je ne sais pas ce qui me poussa à soulever la toile du mur, mais un morceau de papier en tomba alors à mes pieds, m’arrachant un sourire de satisfaction et un bref rire triomphal que je m'empressai d'interrompre en me rappelant de l'importance de ma discrétion.
Je me baissai pour ramasser la feuille pliée en quatre et l’ouvris pour en lire le contenu.
C’était une lettre écrite à la main et sur laquelle figuraient des instructions concernant le meurtre de Regis : sa description, ainsi que son emploi du temps et à quel endroit le trouver, et même où cacher le corps. Je ne pris pas le temps de déchiffrer la signature, préférant fourrer la preuve dans ma poche afin de déguerpir au plus vite, mais je tombai nez à nez avec un autre prêtre lorsque je voulus faire demi-tour pour quitter le dortoir.
Il devait avoir le même âge que Lohir à peu près, mais m’inspirait moins confiance, surtout après avoir enfoncé le canon d’un pistolet contre mes côtes.
VISALA : Betterave, non, broccoli !
LUI : Quoi ?
VISALA : Rien.
Il resta silencieux un instant, fronçant les sourcils, l’air un peu perdu. Me souvenant des conseils de Roxane, je tentai de rester aussi naturelle que possible, consciente que cela ne servait plus à grand chose au point où j’en étais.
VISALA : Hé, c’est toi, euh... Mec. Contente de te revoir.
LUI : Ne joue pas à ça, tu sais très bien pourquoi je suis là. Et on ne s’est jamais rencontrés.
VISALA : Si, je suis sure... C’était, euh... Au bar.
LUI : Un prêtre ? Au bar ?
VISALA : Oui, euh, au bar des prêtres. C'était pas toi ? Je confonds peut-être, ça doit être à cause de la toge...

LUI : Tu es consciente que les prêtres ne boivent pas ?
VISALA : J’ai bu un jus de carotte.
J’espérais qu’il ne remarquerait pas la frustration sur mon visage lorsque je réalisai que j'aurais pu profiter de ce moment pour laisser échapper mon signal de détresse de façon moins flagrante si j’avais été plus patiente, même si je n’étais pas tout à fait certaine que le jus de broccoli était réellement une boisson.
L’homme marqua une autre pause, essayant manifestement de deviner si j’étais bien son ennemie ou juste au mauvais endroit au mauvais moment, même si je devinais que sa décision était prise depuis longtemps.
VISALA : Broccoli.
De plus en plus suspicieux, possiblement à juste titre, il me plaqua contre le mur et me fouilla, découvrant rapidement mon micro, qu’il arracha d’un geste brusque avant de le jeter à terre et de l’écraser.
Je pouffai de rire, ce qui ne sembla pas lui plaire.
LUI : Quoi ? Tu trouves ça drôle ?
J’avais beaucoup de mal à garder mon calme : peut-être était-ce la simple vue de Jose vêtu d’une toge de prêtre, ou peut-être était-ce le fait que celle-ci soit si petite qu’elle lui arrivait aux genoux, ce qui avait d'ailleurs déjà dû trahir notre présence, même si par miracle il avait traversé tout le temple sans assommer personne.
Perplexe, l’homme suivit mon regard mais était face contre la pierre froide avant de pouvoir réagir.
Jose le désarma en lui cassant la main d’un coup de talon dans un craquement qui ne pouvait pas être agréable et l’immobilisa en s’asseyant dessus, tirant en vain sur sa toge pour cacher ses jambes.
JOSE : J’avais bien dit à Roxane que tu allais te foutre de moi...

ROXANE : J’avais bien dit à Flux que ça resterait pas de l’infiltration très longtemps avec vous deux...
Nous étions de retour à la cabane de Regis, notre nouvel invité grimaçant de douleur alors que le feu de la cheminée contre laquelle Roxane l'avait ligoté à une chaise pendant que Jose et moi nous changions lui caressait dangereusement les doigts.
JOSE : Ouais mais bon, on a quand même trouvé quelque chose alors c'est pas grave.
VISALA : Et personne n'était censé entrer pendant que je fouillais !
LOHIR : Il n'a rien voulu écouter ! J'ai prévenu Jose tout de suite !
JOSE : Ouais et d'ailleurs vous m'avez donné faim, tous, à parler de broccolis...

Roxane poussa un soupire d'exaspération que trahit cependant un sourire amusé et se tourna vers l’homme en faisant craquer ses doigts.
ROXANE : Maintenant il va falloir se dépêcher parce que peu importe qui est derrière ces meurtres, ils vont commencer à se poser des questions si tous leurs tueurs continuent de disparaître. Alors si tu nous disais où on peut les trouver, qu’on leur présente nos excuses ?
L’homme tenta en vain de cacher sa douleur mais ne répondit rien, fusillant la Meastienne du regard.
ROXANE : Si tu savais le nombre de personnes qui ont commencé comme toi et ont fini par me raconter toute leur vie... Alors on va gagner du temps, tu veux bien ? Qui te pose les questions ?
Elle pointa Jose du doigt, ce qui aurait surement été plus impressionnant si celui-ci n’avait pas été en train de préparer un sandwich pour Gwaimihr avec l’aide de Kyoko.
ROXANE : Lui ou moi ?
N’entendant toujours pas de réponse, c’est Jose qui prit la parole, sans pour autant lever la tête de la table de la salle à manger.
JOSE : Je te le laisse, je suis occupé.
Roxane afficha un rictus et posa un pied sur la chaise, juste entre les jambes de son prisonnier, s’approchant juste assez pour pouvoir murmurer sa réponse en le regardant droit dans les yeux.
ROXANE : J’espérais que tu allais dire ça. Laissez-nous seuls s’il vous plaît.
JOSE : On finit le sandwich et après on...
ROXANE : Maintenant.
Jose poussa un soupire et laissa tomber son assiette sur la table.
JOSE : Visala, viens nous aider, tu veux ? On va finir dehors.
J’attrapai un jambon et un couteau, imitée par Flux, et nous sortîmes tous de la pièce sous le regard confus de l’homme qui commençait de toute évidence à regretter sa décision alors que Regis jetai un dernier coup d’oeil hésitant dans la direction de Roxane.
REGIS : Ne sois pas trop brutale, d’accord ?
Elle hocha doucement la tête pour rassurer son ami, mais lui-même avait conscience de ce qui se passerait dès qu’il aurait fermé la porte.

JOSE : C’est quand même impressionnant. Il voit rien, mais il se prend jamais de mur. Si j’étais aveugle, j’aurais la tronche en sang tout le temps.
Jose était assis dans la neige, observant Gwaimihr d’un air attendri alors que celui-ci dévorait l’énorme sandwich que nous lui avions préparé au prix d’une bonne partie du garde-manger de Regis. Je m'empressai de lui répondre, ravie de pouvoir enfin mettre à contribution mes quelques connaissances vétérinaires.
VISALA : Les loups ont un flair puissant. Il utilise son nez pour se déplacer.
JOSE : Ca explique pourquoi il est toujours avec Flux !
Le Meastien se roula dans la neige, hurlant de rire à sa propre blague sous le regard consterné de Flux, qui préféra comme souvent ne rien répondre, même si lui-même peinait à cacher son air amusé.
Nous n’étions devant la maison que depuis une dizaine de minutes lorsque Roxane sortit, le regard noir, manifestement contrariée par ce qu’elle avait découvert.
REGIS : Alors, tu sais qui est derrière tout ça ?
La Meastienne sembla hésiter un instant avant de répondre, comme si elle n’avait encore décidé si elle voulait lui admettre la vérité.
ROXANE : Oui. Et ça ne va pas te plaire.
A suivre...

Episode 7

REGIS : Je n’y crois pas... C’est impossible.
Je dus me retenir de pleurer en entendant la détresse dans la voix de Regis, habituellement si serein. Toute sa vie était en train de s’effondrer sous ses yeux, et aucun de nous n’y pouvait rien, pas même lui.
Nous étions devant l’entrée du Sanctuaire du Soleil de Valordrim, et si les circonstances n’avaient pas été ce qu’elles étaient, j’aurais probablement sauté sur l’occasion pour prendre Jose par la main et aller visiter cet endroit magnifique : l’immense bâtisse de pierre était visible depuis des kilomètres, et les rayons du soleil qui se reflétaient sur les larges vitraux dorés projetaient autour de tout le site une aura chaleureuse qui semblait presque donner vie aux murs vieux de plusieurs siècles.
Malheureusement, notre présence menaçait de mettre très bientôt un terme à cette atmosphère paisible, et je commençais à craindre l’état dans lequel nous laisserions les lieux si notre entretien se déroulait aussi mal que Roxane le prédisait.
ROXANE : Flux, prends ça.
Elle lui mit entre les mains l’arme de notre otage, qu’elle avait jusqu’alors gardée sur elle, ne manquant pas de remarquer la gêne sur son visage à l’idée d’utiliser un tel objet.
ROXANE : C’est juste au cas où. Je préfère qu’on soit tous armés, tant qu’on ne sait pas ce qui nous attend.
Arrêté sur le seuil, Regis ne semblait plus trouver le courage d'avancer, conscient que les révélations qui l’attendaient promettaient de le perturber encore plus qu’il ne l’était déjà.
REGIS : Je connais ces gens depuis... toujours. Ils sont incapables de faire une telle chose...
ROXANE : On se trompe peut-être, Regis. Je l’espère vraiment. Mais nous n’avons pas le choix, il faut en avoir le coeur net.
La compassion dans le regard de la Meastienne était sincère alors qu’elle posait une main réconfortante sur l’épaule de son vieil ami avant de pousser la porte du temple d’un geste déterminé.
Nous suivîmes Regis jusqu’au sommet de la tour centrale, qui s’élevait à plus de cent mètres au-dessus du sol montagneux, assez haut dans le ciel pour surplomber les nuages les plus bas que nous apercevions parfois à travers les quelques lucarnes qui éclairaient les escaliers abîmés par le temps.
Le Sanctuaire servait principalement de refuge pour les quelques prêtres et touristes qui s’aventuraient trop tard au sommet de la montagne et se laissaient surprendre par la nuit, et était par chance presque vide en ce milieu d’après-midi. Si Roxane avait premièrement hésité à emmener Kyoko et Gwaimihr avec nous, décidant finalement qu’il était préférable de ne laisser personne seul à la cabane dans le cas d’une nouvelle attaque, le loup s’avéra contre toute attente d’une aide précieuse, détournant efficacement l’attention des quelques prêtres que nous croisions dans les couloirs de notre otage qui, pourtant ligoté et bâillonné aussi discrètement que possible, aurait dans le cas contraire probablement nécessité quelques explications délicates.
Seul Lohir était retourné parmi les siens, conscient que son rôle dans cette affaire était terminé et que seul Regis pouvait à présent mettre un terme au cauchemar.
Nous nous arrêtâmes devant la porte de ce que les prêtres appelaient le Cercle, et Roxane se tourna une dernière fois vers son ami, posant une main sur la poignée.
ROXANE : Prêt ?
Le Dahlgaard prit une grande inspiration et acquiesça.
REGIS : Allons-y.
Le grincement des vieilles charnières rouillées brisa le silence religieux qui régnait dans la pièce vide au milieu de laquelle une dizaine de prêtres méditaient à genoux face à un magnifique vitrail de plusieurs mètres de large représentant le soleil.
A ma grande surprise, aucun ne sembla remarquer notre arrivée pourtant bruyante, nous forçant à nous approcher de quelques pas dont l’écho résonna plusieurs fois dans la pièce.
Roxane opta pour une introduction à son image, poussant notre otage d’un coup de pied au milieu de la salle et l’envoyant rouler à terre, incapable de contrôler sa chute.
ROXANE : Vous avez perdu ça.
Aussi surprise que moi de ne remarquer aucune réaction de la part des prêtres, la Meastienne toussa pour attirer leur attention mais Regis lui demanda d’un geste calme de le laisser parler. Lui adressant un hochement de tête, elle revint se tenir à nos côtés alors que Jose me mettait une tape dans le dos pour me forcer à respirer, réalisant avant moi que l’anticipation me faisait retenir mon souffle depuis si longtemps que mon visage en avait viré au rouge.
REGIS : Je souhaite m’entretenir avec le Cercle des prêtres supérieurs.
Après quelques instants supplémentaires de silence inconfortable, l’un des prêtres se leva et se tourna vers Regis sans même nous adresser un regard. Il fut rapidement imité par ses confrères mais ne prit pas la parole, préférant déjà entendre ce que Regis avait à dire.
REGIS : Iriac, dis-moi que ce n’est pas vrai, je t’en prie.
Le vieil homme avait le crâne rasé et une longue barbe blanche tressée sur laquelle il posa une main en poussant un soupire fatigué.
IRIAC : Je savais que ce moment viendrait, Regis...
REGIS : Non, vous n’avez pas pu...
IRIAC : Quand tes amis sont arrivés à Valordrim, j’ai compris que ce n’était plus qu’une question de temps avant que tu apprennes la vérité...
REGIS : C’est pour ça que vous avez tenté de me faire assassiner ?
Même si Regis restait inexplicablement calme, sa voix trahissait la colère et la peine qu’il ressentait alors que tout espoir l’abandonnait enfin.
IRIAC : Je suis désolé, Regis, j’ai fait ce qui était nécessaire. Ce n’était pas contre toi.
REGIS : Pourquoi ?
Il se tourna rapidement vers tous les autres prêtres, tous complices des crimes de leur supérieur, mais aucun n’eût le courage de soutenir son regard à l’exception d’Iriac.
REGIS : Qu’est-ce qui a pu vous pousser a commettre ces atrocités ?
IRIAC : A quoi bon ? Tu ne comprendrais pas...
REGIS : Le Culte du Ciel Infini n’est pas si différent de nous ! Ils croient en la paix, et n’auraient jamais tué qui que ce soit !
IRIAC : Il ne s’agit pas de religion, Regis.
REGIS : Alors de quoi s'agit-il ?!
FLUX : C’est de la politique.
Je me tournai vers Flux, qui contrairement à Jose et moi avait déjà tout compris.
FLUX : Les élections auront lieu l’an prochain. Et contre toute attente, le Culte du Ciel Infini supporte le parti des Thalionistes. Ce qui ne vous a pas inquiété tout de suite, car vous pensiez qu’ils disparaîtraient aussi vite qu’ils étaient arrivés. Mais le Culte a grandi, et vous avez compris que si les choses ne changeaient pas, le parti conservateur risquait de perdre pour la première fois. Dahl se tournerait vers le monde extérieur au lieu de vivre dans l’ombre de ses prêtres.
IRIAC : Ce serait la fin de notre ordre.
REGIS : Non, ce serait la fin de votre pouvoir personnel sur le gouvernement, rien de plus !
Visiblement épuisé par cet unique excès de colère, Regis se détendit soudain et baissa la tête, l’air abattu.
REGIS : J’avais confiance en vous tous. Surtout toi, Iriac. Jamais je n’aurais cru...
Il fit demi-tour sans terminer sa phrase et attrapa Kyoko pour l’asseoir sur ses épaules. Dans un dernier soupire, il implora Roxane du regard avant de s’éloigner.
REGIS : Quittons cet endroit. Le Soleil n’y brillera plus.
Immobiles au milieu de la pièce, le Cercle des prêtres supérieurs nous laissa sortir sans un mot de plus.

Privés de la chaleur relative qui régnait à l’intérieur du Sanctuaire, nous accueillîmes à bras ouvert la lumière du jour qui semblait suffoquer derrière les épais murs de pierre. Nous fîmes quelques pas dans la neige mais nous arrêtâmes à quelques mètres de la porte et nous tournâmes vers Roxane lorsque nous réalisâmes qu’elle ne bougeait pas.
REGIS : Roxane, qu’est-ce que tu fais ?
ROXANE : Je vais prévenir la police et m’assurer que personne ne sorte d’ici en attendant leur arrivée. Tant que ces types ne seront pas derrière des barreaux, Kyoko et toi ne serez pas en sécurité.
REGIS : Tu comptes les tuer, n’est-ce pas ?
ROXANE : Si l’un d’eux tente quoi que ce soit, oui. Mais si j’ai le choix, je te promets de ne pas leur faire de mal.
Regis ferma les yeux, trouvant un peu de réconfort dans la compassion de son amie.
ROXANE : Rentrez, je vous rejoins dans quelques heures.
REGIS : Sois prudente, Roxane.
ROXANE : Vous aussi. Je ne baisserai ma garde que quand ces loquards seront enfermés à Hegandar.

Les quelques premières minutes de marche vers la cabane souffrirent d’un silence inconfortable que Jose finit sans surprise par briser au bout d’un kilomètre à peu près, fredonnant un air enjoué qui se transforma rapidement en une chanson de bar que seul Husker avait pu lui apprendre, s’inspirant autant des merveilles de l’alcool que de la poitrine de la serveuse.
Me hissant à sa hauteur sur la pointe des pieds, je lui murmurai discrètement à l’oreille que le moment était peut-être mal choisi, mais il me répondit par un clin d’oeil et me fit signe de regarder derrière nous : l’air un peu apaisé, Regis nous suivait d’un pas déterminé, un mince sourire aux lèvres.

Nous arrivâmes chez Regis peu de temps avant la tombée de la nuit, et Jose et moi décidâmes d’attendre Roxane devant la cabane pour profiter une dernière fois du coucher du soleil au-dessus de la chaîne du Darfingaard.
Poussant un soupire de soulagement, je fermai les yeux quelques instants, épuisée par les quelques jours que nous avions passés à Valordrim, et je souris en entendant enfin des bruits de pas s’approchant de nous dans la neige. Me tournant pour accueillir Roxane, je restai figée face au canon de l’arme qui s'enfonça doucement dans mes côtes, ne laissant à Jose qu’assez de temps pour poser une main sur son propre revolver.
GLASS : Vous me surprenez, Mademoiselle Fisher. J’étais certain que vous auriez déjà quitté ce criminel depuis longtemps.
A suivre...

Episode 8

GLASS : Tu sais quoi faire, Jose : jette ton arme.
Poussant un soupire, Jose obéit, laissant tomber son revolver à ses pieds.
JOSE : T’es vraiment chiant avec ça, mec.
GLASS : Et je suppose que vous vous doutez des risques que vous prenez si je vous vois saisir une flèche, Mademoiselle Fisher ?
VISALA : C’est lui qui les a.
Ses yeux se posèrent sur le carquois accroché à l’épaule de Jose.
GLASS : En effet.
JOSE : T’étais vraiment le meilleur détective qu’ils avaient à Meast ?
Si les provocations de Jose laissaient d’habitude Glass de marbre, celle-ci sembla étrangement l’irriter. Le fusillant du regard, il enfonça le canon de son arme entre ses omoplates pour le forcer à avancer.
GLASS : Je vous avais prévenus que je reviendrais.
VISALA : Et moi que mon offre tiendrait toujours.
Pensant avoir déjà gagné, Glass voulut me jeter un dernier regard mais resta planté dans la neige en voyant le revolver de Jose entre mes mains, pointé droit vers sa tête.
GLASS : Vous êtes consciente de la puissance de cette arme, n’est-ce pas ? Vous avez autant de chances de tuer votre ami que de le sauver.
VISALA : Jose ?
JOSE : Fais-toi plaisir.
VISALA : Laissez-le partir, Glass.
GLASS : Hors de question.
VISALA : Ce n’était pas une question.
GLASS : Cela n’a plus aucune importance. Tirez si vous le souhaitez. Autrement, cet homme rentre à Meast avec moi.
VISALA : Vous voulez vraiment mourir, Glass ?
GLASS : Je suis déjà mort, Mademoiselle Fisher. Ce criminel m’a tout pris. Que pensiez-vous qu’il adviendrait de moi quand vous m’avez forcé à retourner à mes supérieurs les mains vides ? Comment étais-je supposé expliquer mon échec ?
JOSE : Je te l’ai déjà dit, on pense pas si souvent à toi, Glass.
GLASS : Ma carrière enterrée en l’espace de quelques instants. Je n’ai plus rien. Capturer enfin l’homme le plus recherché de Meast est ma dernière chance. Alors non, je ne veux pas mourrir. Mais je suis prêt à prendre le risque de vous faire confiance. Vous ne tirerez pas.
VISALA : Vous me connaissez mal.
JOSE : Attend, tu as dit que j’étais l’homme le plus recherché de Meast ?
Glass ignora Jose, son regard toujours plongé dans le mien, retenant son souffle.
GLASS : Peu importe ce que vous trouvez à ces individus, vous n’êtes pas comme eux.
VISALA : Vous ne l’emmenerez pas avec vous.
GLASS : Vous n'avez qu'un seul moyen de m’en empêcher.
Ses yeux se posèrent sur mon arme alors que mes bras se tendaient, prêts à encaisser le recul.
GLASS : Et vous ne voulez pas me tuer.
Une larme roula sur ma joue. Ma voix tremblait.
VISALA : Non.
Mon doigt se resserra sur la détente. Je fermai les yeux.
Le choc du coup de feu me fit lâcher le revolver, et j'enfouis mon visage entre mes mains, trop terrifiée pour oser regarder devant moi.
L’écho continua de résonner quelques longues secondes avant de replonger la vallée dans son silence paisible, me donnant à peine assez de force pour risquer un coup d’oeil dans la direction de Jose.
Le Meastien se tenait toujours au même endroit, observant d’un air impassible le corps sans vie de Marcus Glass, un halo rouge déjà dessiné dans la neige autour de sa tête.
Tremblant comme une feuille, je me tournai pour faire face à celui qui m’avait empêché de tuer Glass en tirant le premier.
Je n’avais jamais vu autant de peine dans les yeux d’un homme, alors qu’il laissait tomber à ses pieds l’arme encore fumante que Roxane avait confiée à Flux quelques heures plus tôt.
Ces quelques jours à Valordrim m’avaient appris une chose : rien n’était plus sacré que la vie, pour les prêtres du Soleil.
Pourtant, je n’imaginais pas la douleur qu’avait ressentie Regis en pressant la détente.
Nous laissant tous les deux bouche bée, le Dahlgaard fit quelques pas dans la neige et s’agenouilla lentement à côté de Glass. Les yeux rouges de tristesse, il posa une main sur la tempe froide du vieux détective, comme s’il tentait de le réconforter, mais lui-même était bien conscient qu’il était déjà trop tard. Il sortit de sous sa tunique un large pendentif doré représentant le soleil et le passa autour du cou de l’homme qui venait de changer sa vie à tout jamais.

ROXANE : Jose et Flux sont rentrés.
REGIS : C’est bien. Je préfère que Kyoko ne soit pas seule. Cela doit être perturbant pour elle.
Roxane, Regis et moi étions debout au sommet de la montagne où le Dahlgaard avait insisté pour porter lui-même le corps et les kilos de bois qu’il avait utilisés pour construire le bûcher sur lequel le pauvre homme brûlait depuis plus d’une heure dans la nuit noire.
Roxane prit son ami entre ses bras, une preuve d’affection assez surprenante venant de la jeune femme, qui me rappela ses mots alors que nous approchions de Valordrim quelques jours plus tôt : "Regis a toujours été là pour nous". Je me demandai tous les autres sacrifices qu'il avait déjà dû faire pour eux, et ceux dont il serait encore capable sans la moindre hésitation.
La Meastienne s’approcha ensuite de moi et posa une main sur mon épaule. Semblant lire dans mes pensées, elle m’adressa un sourire sincère avant de s’éloigner.
ROXANE : Je vous laisse tous les deux.
Le son de ses pas dans la neige disparut rapidement, masqué par le rugissement du feu.
J’allai rejoindre Regis près du bûcher qu’il ne quitterait pas avant l'aube. Suivant son regard, je levai les yeux vers le ciel nuageux que la lumière d'un mince croissant de lune ne traversait que par brefs moments.
REGIS : La Lune n’est pas avec nous ce soir. Elle est en deuil.
Mes yeux se posèrent alors sur le bûcher, et sur le pendentif en or que je pouvais encore apercevoir entre les flammes.
VISALA : On pourrait... Dire une prière, si tu veux ?
REGIS : Ce n’est plus mon rôle. J’ai pris la vie d’un homme, aujourd’hui. Je ne suis plus prêtre.
VISALA : Ca ne change rien. Tu es toujours... Tu es toujours Regis.
Il afficha un léger sourire, mais son regard trahissait toujours sa peine.
VISALA : Pourquoi l’as-tu fait, alors ?
REGIS : C’était mon devoir. Pas en tant que prêtre. En tant qu’Alavaar.
VISALA : Alavaar ?
REGIS : Il y a longtemps, les Dahlgaards étaient un peuple de combattants. Après la guerre, il y a des siècles, l’Empereur d’Odyssée a interdit toute forme de violence dans le pays. Plus d’armes, plus de soldats. Plus de bagarres à la sortie des tavernes. L’ordre des Alavaars est né à cette époque. "Les Gardiens", la dernière armée de Dahl. Ils étaient un groupe secret de guerriers, qui s’entraînaient dans l’ombre, prêts à défendre leur peuple. Dahl n’a jamais connu d’autre guerre, et les Alavaars ont commencé à s’éteindre. 
VISALA : J’en avais entendu parler... Je croyais que ce n’était qu’une légende.
REGIS : C’en est une aujourd’hui. Iriac était le dernier que je connaissais. Il ne reste peut-être plus que moi maintenant.
Il resta silencieux quelques instants, puis posa ses yeux sur moi, l’air un peu apaisé.
REGIS : Un Alavaar se doit de protéger les innocents, à n’importe quel prix.
Je laissai échapper un léger éclat de rire.
VISALA : Jose n’est pas exactement un innocent.
REGIS : Pas Jose. Toi.
Je me tournai à mon tour vers lui, confuse.
REGIS : Tu portes bien ton nom, Visala. Tu es courageuse. Et pure. Mais tu es aussi une guerrière. Tu aurais tué cet homme.
Je n’osai rien dire, craignant trop ma réponse.
REGIS : Prendre une vie est une expérience terrifiante. Tu le sauras un jour. Mais pas aujourd’hui.
Le souffle coupé, je regardai les flammes danser dans le vent marin glacial, et je compris enfin ce qui avait rapproché le prêtre Dahlgaard et Slayer Roxane. Comment deux personnes aussi différentes en tous points avaient pu se lier d’amitié et rester si proches au fil des années : Regis était juste ce genre d’homme.

FIN