Episode 5

REGIS : Laissez-le respirer.
ROXANE : Kyoko, éloigne le loup. Visala, éloigne Jose.
L’homme était âgé d’une quarantaine d’années tout au plus et était vêtu de noir de la tête aux pieds, ce qui aurait probablement été une bonne idée de camouflage à peu près partout dans le monde à l’exception de Dahl.
Sa longue chevelure blonde et sa barbe fournie m'entraînaient à déduire qu’il était natif de la région mais je ne pouvais en être certaine.
REGIS : Il revient à lui.
Je poussai Jose de toutes mes forces pour l’empêcher de coller son visage à celui de l’étranger qui n’apprécierait surement pas le réveil particulier dont Jose avait le secret, même si je m'y étais pour ma part assez rapidement habituée.
L’homme ouvrit lentement les yeux et se redressa brusquement, comme s’il tentait de rattraper en un instant les quelques minutes qu’il avait manquées.
LUI : Où est-il ?!
Roxane lui planta très calmement son talon contre la poitrine, le forçant immédiatement à se rallonger dans la neige.
ROXANE : Qui, Regis ? Rassure-toi, tu ne l’as pas encore tué.
L’homme afficha un air de confusion sincère qui vira assez rapidement à l’agacement, que Roxane ne tarda pas à partager en réalisant notre erreur.
LUI : Quoi ? Non, le tueur ! Inconscients ! Il peut être n’importe où !
Bien qu’intriguée, Roxane ne baissa pas pour autant sa garde.
ROXANE : Parle vite.
Il tenta en vain de repousser la Meastienne mais comprit rapidement que raisonner était sa seule issue.
LUI : Ce n’est pas moi que vous cherchez ! Votre ami est en danger, et vous aussi maintenant ! Quelqu’un s’en prend aux prêtres du Soleil !
JOSE : On est un peu au courant, en fait. C’est pour ça qu’on est là, pas pour le tourisme.
VISALA : Un peu pour le tourisme aussi, mais surtout pour ça.
Un grognement mit fin à notre conversation, et nous nous tournâmes comme un vers Gwaimihr, qui s’était mis en position de défense devant Kyoko et fixait droit derrière nous en direction des bois.
Jose fut le premier à sortir son arme, mais le loup avait déjà presque rattrapé sa proie. Il plongea entre les arbres et disparut en un éclair, et nous n’entendîmes qu’un cri d’horreur étouffé suivi du bruit désagréable de plusieurs os brisés en morceaux.
KYOKO : Gwaimihr !
Passant devant nous, la fillette se précipita vers son animal de compagnie, ignorant Roxane et moi qui l’implorions de ne pas bouger.
Je saisis mon arc, mais à nouveau il ne me servit à rien puisque Gwaimihr sortit calmement des buissons quelques secondes plus tard, le museau tâché de sang.
Jose se tourna vers moi, fronçant les sourcils.
JOSE : Et là, tu peux le soigner ?
FLUX : Je ne crois pas que ce soit son sang, Jose.
JOSE : Depuis quand tu es vétérinaire, toi ?
Regis et Roxane était déjà arrivés à hauteur de la bête, et le Dahlgaard risqua un regard derrière les branches, affichant vite un air déçu.
REGIS : Trop tard, il l’a tué.
Jose et moi nous approchâmes par curiosité pour découvrir à notre tour le deuxième intrus, et je fis de mon mieux pour cacher mon dégoût à la vue du torrent de sang qui coulait encore abondamment de sa gorge déchiquetée.
VISALA : Oh, c’est dégueulasse...
Jose posa une main réconfortante sur mon épaule et se pencha pour me regarder dans les yeux d’un air que j’aurais trouvé condescendant si je ne l’avais pas connu si bien.
JOSE : A Meast, on dit «glurot».
Flux nous rattrapa à contre-coeur et afficha une grimace écoeurée à la vision du cadavre.
FLUX : Oh, dégueulasse...
JOSE : Oui, on dit aussi ça des fois.
Je poussai Kyoko d’une main, la forçant à rester derrière moi, un peu perturbée par le calme indifférent que même la scène troublante qui s’offrait à elle ne parvenait pas à effacer de son visage rond.
Elle agita un doigt vaguement accusateur sous le museau du loup -- encore un geste que j’aurais précautionneusement évité à sa place -- le réprimandant d’une voix douce.
KYOKO : Méchant, Gwaimihr. Mal.
REGIS : Je n’y crois pas...
ROXANE : Quoi ?
REGIS : Cet homme... Il fait partie du Culte du Ciel Infini...
ROXANE : Le Culte du quoi ?
FLUX : Une nouvelle religion. Elle est apparue il y a quelques mois seulement, mais est parvenue à recueillir de nombreux adeptes en peu de temps dans tout Dahl, et à même commencé à traverser les frontières.
REGIS : La religion Dahlgaard est respectée dans tout le pays, et la naissance d’un nouveau culte n’était pas appréciée de tous. Certains des autres Prêtres sont convaincus depuis le début que le Culte du Ciel Infini est à l’origine des meurtres, mais j’ai toujours refusé de les croire... Jusqu’à maintenant... Cette toge, ce pendentif... Cet homme appartient à leur ordre.
Notre premier suspect prit alors à son tour la parole, à mon grand étonnement puisque je l’avais déjà oublié, contrairement à Roxane qui ne l’avait pas quitté des yeux depuis son réveil.
LUI : Le Culte du Ciel Infini n’est pas à l’origine de ces disparitions.
ROXANE : Et qu’est-ce qui te fait dire ça ?
Il soupira, conscient qu’il n’avait à présent d’autre option que de se démasquer.
LUI : Ce sont eux qui m’ont envoyé protéger votre ami.

JOSE : Alors, tu étais payé ou quelque chose comme ça ? Pour la protection de Regis, j’entends, parce que je dirais qu’une bonne partie de cette récompense devrait nous revenir, maintenant qu’on a fait ton boulot.
FLUX : Je suppose que le mérite revient en grande partie à Gwaimihr.
JOSE : Qui ne serait pas là sans moi.
VISALA : Tu as failli le mettre dans le coma.
JOSE : Pour te défendr...
ROXANE : Silence, tout le monde.
Roxane poussa un soupire et se tourna vers l’espion du Culte.
ROXANE : Raconte-nous tout ce que tu sais.
Nous étions revenus à la cabane de Regis, où nous espérions garder notre conversation secrète, tant que nous n’en savions toujours pas plus sur notre ennemi. Notre invité, Lohir, puisque nous connaissions à présent son prénom, se tenait face à la cheminée, manifestement mal à l’aise au milieu de tant de regards inquisiteurs.
LOHIR : Le Culte du Ciel Infini n’est pas si différent de la religion Dahlgaard. Il s’en inspire sur de très nombreux principes, dont celui de la violence. Toute vie est sacrée pour nous, quoi qu’en disent ceux qui sont opposés à notre foi. Nous savions que nous aurions à surmonter certains obstacles avant d’être enfin acceptés à Dahl. Mais nous ne nous étions pas attendus à être accusés de telles atrocités.
FLUX : Donc vous pensez être victimes d’un complot visant à vous faire passer pour coupables de ces meurtres ?
ROXANE : Pourquoi est-ce que c’est toujours un complot ?
LOHIR : Mes supérieurs l’ont suspecté dès les premiers meurtres, et les rumeurs nous accablant se propageaient trop vite pour n’être due qu’à la méfiance populaire à notre égard. C’est pourquoi ils m’ont envoyé pour enquêter. Quiconque est à l’origine de ces crimes n’en a pas qu’après les prêtres du Soleil, mais après nous aussi.
ROXANE : Cet homme, dans la forêt. Quelqu’un que tu connais ?
Lohir baissa les yeux, l’air perplexe.
LOHIR : Malheureusement oui. Il a rejoint notre groupe il y a quelques semaines. Depuis le début il semblait distant, et était généralement introuvable au moment des meurtres. C’est pourquoi mes supérieurs le soupçonnaient d’y être lié. Je le suivais quand vous m’avez trouvé.
FLUX : Pourquoi est-ce qu’un des vôtres chercherait à vous faire accuser ?
LOHIR : Rejoindre le Culte du Ciel Infini faisait peut-être partie de son plan.
ROXANE : Si ce type avait un plan. C’était peut-être juste un taré de plus qui tuait sans but.
LOHIR : C’est ce que nous espérions aussi. Jusqu’à hier.
ROXANE : Hier ?
LOHIR : Deux prêtres du Soleil ont à nouveau disparu, la même nuit, à plus de cinquante kilomètres l'un de l'autre.
FLUX : Alors c'est une attaque organisée.
REGIS : Et il y en aura d’autres...

ROXANE : On ne va pas attendre que ça arrive.
Elle se tourna vers Lohir, le visage plus déterminé que jamais.
ROXANE : Ce type vivait au monastère ?
LOHIR : Oui.
ROXANE : L’un de vous a fouillé son dortoir ?
LOHIR : Nous y avons pensé, mais n’avons pas encore pu prendre le risque. Nous ne sommes toujours pas certains qu’il était seul parmi nous.
ROXANE : Prudent. D’autres suspects ?
LOHIR : Nous recevons souvent de nouveaux confrères. Plusieurs sont arrivés en même temps que lui. Il peuvent tous être innocents, mais aucun moyen de s’en assurer.
ROXANE : Tu me sous-estimes.
FLUX : Roxane, qu’as-tu en tête ?
Elle afficha un rictus victorieux d’avance.
ROXANE : Le meilleur moyen d’attraper un espion est d’en envoyer un autre.
REGIS : Impossible. S’il s’agit bel et bien d’un complot à travers le pays tout entier, ils t’attendront. Quiconque s’attaque à moi devait savoir que je demanderais ton aide.
ROXANE : Tu as peut-être raison. Mais qui alors ?
FLUX : Jose et moi sommes aussi connus que toi à Valordrim.
VISALA : Personne n’allait proposer Jose, Flux.
JOSE : Ouais, Flux, réfléchis un peu.
LOHIR : Si un autre traître se cache au monastère, il doit déjà se méfier de moi.
ROXANE : Et Regis étant l’une des cibles, il est évidemment hors de question de l’envoyer là-bas.
Attendrie par Kyoko, qui était depuis plusieurs minutes assise près de la cheminée, lisant doucement son livre préféré à Gwaimihr, je ne remarquai pas tout de suite le court silence qui suivit. C’est seulement lorsque Flux toussa, plus fort et moins naturellement qu’à son habitude, que je tournai à nouveau mon attention vers la table du salon, autour de laquelle la conversation était temporairement figée, ainsi que tous les regards qui à ma grande surprise m’était adressés.
VISALA : Quoi ?
Je repensai rapidement au sujet de notre discussion et manquai de sursauter en réalisant ce qui était en train d’arriver.
VISALA : Quoi ?! Non, je...
ROXANE : Visala, il ne reste que toi.
VISALA : Et... Euh... Kyoko ! Pourquoi pas Kyoko ?
FLUX : Tu enverrais vraiment une enfant de huit ans dans un monastère potentiellement rempli de tueurs ?
VISALA : Potentiellement ! Et elle a un loup comme garde du corps !
ROXANE : J’ai bien mentionné qu’il s’agissait d’une mission d’espionnage ?
A court d’idées, je parcourus rapidement la pièce des yeux, à la recherche d’un plan de secours.
VISALA : Il est trop tard pour reconsidérer Jose ?
Le Meastien fut le premier à briser le silence qui répondit sans surprise à ma question :
JOSE : Moi je veux bien, hein, mais...
Je baissai la tête dans un soupire.
VISALA : Amenez-moi une toge...
A suivre...