Episode 7

REGIS : Je n’y crois pas... C’est impossible.
Je dus me retenir de pleurer en entendant la détresse dans la voix de Regis, habituellement si serein. Toute sa vie était en train de s’effondrer sous ses yeux, et aucun de nous n’y pouvait rien, pas même lui.
Nous étions devant l’entrée du Sanctuaire du Soleil de Valordrim, et si les circonstances n’avaient pas été ce qu’elles étaient, j’aurais probablement sauté sur l’occasion pour prendre Jose par la main et aller visiter cet endroit magnifique : l’immense bâtisse de pierre était visible depuis des kilomètres, et les rayons du soleil qui se reflétaient sur les larges vitraux dorés projetaient autour de tout le site une aura chaleureuse qui semblait presque donner vie aux murs vieux de plusieurs siècles.
Malheureusement, notre présence menaçait de mettre très bientôt un terme à cette atmosphère paisible, et je commençais à craindre l’état dans lequel nous laisserions les lieux si notre entretien se déroulait aussi mal que Roxane le prédisait.
ROXANE : Flux, prends ça.
Elle lui mit entre les mains l’arme de notre otage, qu’elle avait jusqu’alors gardée sur elle, ne manquant pas de remarquer la gêne sur son visage à l’idée d’utiliser un tel objet.
ROXANE : C’est juste au cas où. Je préfère qu’on soit tous armés, tant qu’on ne sait pas ce qui nous attend.
Arrêté sur le seuil, Regis ne semblait plus trouver le courage d'avancer, conscient que les révélations qui l’attendaient promettaient de le perturber encore plus qu’il ne l’était déjà.
REGIS : Je connais ces gens depuis... toujours. Ils sont incapables de faire une telle chose...
ROXANE : On se trompe peut-être, Regis. Je l’espère vraiment. Mais nous n’avons pas le choix, il faut en avoir le coeur net.
La compassion dans le regard de la Meastienne était sincère alors qu’elle posait une main réconfortante sur l’épaule de son vieil ami avant de pousser la porte du temple d’un geste déterminé.
Nous suivîmes Regis jusqu’au sommet de la tour centrale, qui s’élevait à plus de cent mètres au-dessus du sol montagneux, assez haut dans le ciel pour surplomber les nuages les plus bas que nous apercevions parfois à travers les quelques lucarnes qui éclairaient les escaliers abîmés par le temps.
Le Sanctuaire servait principalement de refuge pour les quelques prêtres et touristes qui s’aventuraient trop tard au sommet de la montagne et se laissaient surprendre par la nuit, et était par chance presque vide en ce milieu d’après-midi. Si Roxane avait premièrement hésité à emmener Kyoko et Gwaimihr avec nous, décidant finalement qu’il était préférable de ne laisser personne seul à la cabane dans le cas d’une nouvelle attaque, le loup s’avéra contre toute attente d’une aide précieuse, détournant efficacement l’attention des quelques prêtres que nous croisions dans les couloirs de notre otage qui, pourtant ligoté et bâillonné aussi discrètement que possible, aurait dans le cas contraire probablement nécessité quelques explications délicates.
Seul Lohir était retourné parmi les siens, conscient que son rôle dans cette affaire était terminé et que seul Regis pouvait à présent mettre un terme au cauchemar.
Nous nous arrêtâmes devant la porte de ce que les prêtres appelaient le Cercle, et Roxane se tourna une dernière fois vers son ami, posant une main sur la poignée.
ROXANE : Prêt ?
Le Dahlgaard prit une grande inspiration et acquiesça.
REGIS : Allons-y.
Le grincement des vieilles charnières rouillées brisa le silence religieux qui régnait dans la pièce vide au milieu de laquelle une dizaine de prêtres méditaient à genoux face à un magnifique vitrail de plusieurs mètres de large représentant le soleil.
A ma grande surprise, aucun ne sembla remarquer notre arrivée pourtant bruyante, nous forçant à nous approcher de quelques pas dont l’écho résonna plusieurs fois dans la pièce.
Roxane opta pour une introduction à son image, poussant notre otage d’un coup de pied au milieu de la salle et l’envoyant rouler à terre, incapable de contrôler sa chute.
ROXANE : Vous avez perdu ça.
Aussi surprise que moi de ne remarquer aucune réaction de la part des prêtres, la Meastienne toussa pour attirer leur attention mais Regis lui demanda d’un geste calme de le laisser parler. Lui adressant un hochement de tête, elle revint se tenir à nos côtés alors que Jose me mettait une tape dans le dos pour me forcer à respirer, réalisant avant moi que l’anticipation me faisait retenir mon souffle depuis si longtemps que mon visage en avait viré au rouge.
REGIS : Je souhaite m’entretenir avec le Cercle des prêtres supérieurs.
Après quelques instants supplémentaires de silence inconfortable, l’un des prêtres se leva et se tourna vers Regis sans même nous adresser un regard. Il fut rapidement imité par ses confrères mais ne prit pas la parole, préférant déjà entendre ce que Regis avait à dire.
REGIS : Iriac, dis-moi que ce n’est pas vrai, je t’en prie.
Le vieil homme avait le crâne rasé et une longue barbe blanche tressée sur laquelle il posa une main en poussant un soupire fatigué.
IRIAC : Je savais que ce moment viendrait, Regis...
REGIS : Non, vous n’avez pas pu...
IRIAC : Quand tes amis sont arrivés à Valordrim, j’ai compris que ce n’était plus qu’une question de temps avant que tu apprennes la vérité...
REGIS : C’est pour ça que vous avez tenté de me faire assassiner ?
Même si Regis restait inexplicablement calme, sa voix trahissait la colère et la peine qu’il ressentait alors que tout espoir l’abandonnait enfin.
IRIAC : Je suis désolé, Regis, j’ai fait ce qui était nécessaire. Ce n’était pas contre toi.
REGIS : Pourquoi ?
Il se tourna rapidement vers tous les autres prêtres, tous complices des crimes de leur supérieur, mais aucun n’eût le courage de soutenir son regard à l’exception d’Iriac.
REGIS : Qu’est-ce qui a pu vous pousser a commettre ces atrocités ?
IRIAC : A quoi bon ? Tu ne comprendrais pas...
REGIS : Le Culte du Ciel Infini n’est pas si différent de nous ! Ils croient en la paix, et n’auraient jamais tué qui que ce soit !
IRIAC : Il ne s’agit pas de religion, Regis.
REGIS : Alors de quoi s'agit-il ?!
FLUX : C’est de la politique.
Je me tournai vers Flux, qui contrairement à Jose et moi avait déjà tout compris.
FLUX : Les élections auront lieu l’an prochain. Et contre toute attente, le Culte du Ciel Infini supporte le parti des Thalionistes. Ce qui ne vous a pas inquiété tout de suite, car vous pensiez qu’ils disparaîtraient aussi vite qu’ils étaient arrivés. Mais le Culte a grandi, et vous avez compris que si les choses ne changeaient pas, le parti conservateur risquait de perdre pour la première fois. Dahl se tournerait vers le monde extérieur au lieu de vivre dans l’ombre de ses prêtres.
IRIAC : Ce serait la fin de notre ordre.
REGIS : Non, ce serait la fin de votre pouvoir personnel sur le gouvernement, rien de plus !
Visiblement épuisé par cet unique excès de colère, Regis se détendit soudain et baissa la tête, l’air abattu.
REGIS : J’avais confiance en vous tous. Surtout toi, Iriac. Jamais je n’aurais cru...
Il fit demi-tour sans terminer sa phrase et attrapa Kyoko pour l’asseoir sur ses épaules. Dans un dernier soupire, il implora Roxane du regard avant de s’éloigner.
REGIS : Quittons cet endroit. Le Soleil n’y brillera plus.
Immobiles au milieu de la pièce, le Cercle des prêtres supérieurs nous laissa sortir sans un mot de plus.

Privés de la chaleur relative qui régnait à l’intérieur du Sanctuaire, nous accueillîmes à bras ouvert la lumière du jour qui semblait suffoquer derrière les épais murs de pierre. Nous fîmes quelques pas dans la neige mais nous arrêtâmes à quelques mètres de la porte et nous tournâmes vers Roxane lorsque nous réalisâmes qu’elle ne bougeait pas.
REGIS : Roxane, qu’est-ce que tu fais ?
ROXANE : Je vais prévenir la police et m’assurer que personne ne sorte d’ici en attendant leur arrivée. Tant que ces types ne seront pas derrière des barreaux, Kyoko et toi ne serez pas en sécurité.
REGIS : Tu comptes les tuer, n’est-ce pas ?
ROXANE : Si l’un d’eux tente quoi que ce soit, oui. Mais si j’ai le choix, je te promets de ne pas leur faire de mal.
Regis ferma les yeux, trouvant un peu de réconfort dans la compassion de son amie.
ROXANE : Rentrez, je vous rejoins dans quelques heures.
REGIS : Sois prudente, Roxane.
ROXANE : Vous aussi. Je ne baisserai ma garde que quand ces loquards seront enfermés à Hegandar.

Les quelques premières minutes de marche vers la cabane souffrirent d’un silence inconfortable que Jose finit sans surprise par briser au bout d’un kilomètre à peu près, fredonnant un air enjoué qui se transforma rapidement en une chanson de bar que seul Husker avait pu lui apprendre, s’inspirant autant des merveilles de l’alcool que de la poitrine de la serveuse.
Me hissant à sa hauteur sur la pointe des pieds, je lui murmurai discrètement à l’oreille que le moment était peut-être mal choisi, mais il me répondit par un clin d’oeil et me fit signe de regarder derrière nous : l’air un peu apaisé, Regis nous suivait d’un pas déterminé, un mince sourire aux lèvres.

Nous arrivâmes chez Regis peu de temps avant la tombée de la nuit, et Jose et moi décidâmes d’attendre Roxane devant la cabane pour profiter une dernière fois du coucher du soleil au-dessus de la chaîne du Darfingaard.
Poussant un soupire de soulagement, je fermai les yeux quelques instants, épuisée par les quelques jours que nous avions passés à Valordrim, et je souris en entendant enfin des bruits de pas s’approchant de nous dans la neige. Me tournant pour accueillir Roxane, je restai figée face au canon de l’arme qui s'enfonça doucement dans mes côtes, ne laissant à Jose qu’assez de temps pour poser une main sur son propre revolver.
GLASS : Vous me surprenez, Mademoiselle Fisher. J’étais certain que vous auriez déjà quitté ce criminel depuis longtemps.
A suivre...