Episode 6

ROXANE : Tu as bien compris ? La seconde où tu dis le mot, j’envoie la diversion.
FLUX : Est-ce que nous sommes tous certains que "broccoli" est le meilleur choix de signal de secours ?
VISALA : Il faut que je sois capable de m’en souvenir sous la pression !
LOHIR : Je ferai de mon mieux pour garder tout le monde aussi loin que possible des dortoirs.
Je réalisai qu’en plus de ma panique apparente, la façon dont je remuais depuis quelques minutes, me débattant avec ma toge, ne faisait rien pour rassurer Roxane, qui commençait à se demander -- tout comme moi -- si me confier cette mission était une bonne idée.
VISALA : Ce truc gratte ! Comment vous faîtes pour le porter tout le temps ?
ROXANE : Visala, nous serons tous là, à quelques dizaines de mètres, il ne t’arrivera rien, je te le promets.
VISALA : Oh, je sais. Je n’ai pas peur pour ça.
ROXANE : Vraiment ?
Les mots étaient sortis de ma bouche malgré moi, et me surprirent autant que Roxane. Tentant alors d’analyser l’angoisse dont je faisais pourtant clairement l’objet, je compris que je ne m’étais pas souciée une seule seconde des risques que j’encourais.
VISALA : Je sais que je suis en sécurité. J’ai confiance en vous.
ROXANE : Alors qu’est-ce qui t’inquiète tellement ?
VISALA : Je suppose que... je dois seulement avoir peur de ne pas être à la hauteur.
La jeune Meastienne afficha un air soulagé.
ROXANE : N’oublie pas ce que je t’ai dit : garde la tête froide. Tant que tu as le contrôle sur toi-même, tu as le contrôle de la mission.
Je hochai la tête, me répétant ses conseils à voix basse. Roxane m’adressa un sourire réconfortant et me mit une tape sur l’épaule.
ROXANE : Si j’avais douté de toi ne serait-ce qu’un instant, je ne t’aurais jamais laissée y aller.

Lohir poussa non sans effort l’un des deux battants de la gigantesque porte de bois du temple du Culte, et même si les quelques torches qui éclairaient l’intérieur ne parvenaient qu’à chauffer faiblement le long hall d’entrée du bâtiment de pierre, il faisait si froid dehors que la vague de chaleur qui m’accueillit manqua de me faire suffoquer le temps de m’habituer à la différence de température.
Plusieurs autres prêtres vaquaient à leurs occupations, et certains s’inclinèrent respectueusement en passant devant nous, ou posèrent une main amicale sur mon épaule en signe de bienvenue. De temps à autres, Lohir me présentait à ses amis, leur indiquant qu’il m’avait rencontrée au téléphérique en quête de spiritualité et que je souhaitais me rapprocher du Ciel Infini, et autres explications auxquelles je n’aurais probablement pas cru mais qui semblaient ici suffisantes.
Au bout de quelques minutes, il m‘annonça d’une voix suffisamment forte pour qu’elle paraisse naturelle qu’il allait me mener aux dortoirs afin que je puisse m’installer, et m’entraîna alors dans un couloir de plusieurs dizaines de mètres qui descendait sous le temple au coeur de la montagne.
S’assurant que nous étions seuls, il ferma la porte de la pièce derrière nous avant de laisser enfin tomber le masque de sérénité qui semblait l’étouffer depuis que nous étions entrés. Ses gestes devinrent plus rapides, son souffle plus saccadé, et il se dépêcha de me donner ses dernières instructions, s’éloignant déjà d’un pas pressé :
LOHIR : Kohlb, le tueur, dormait ici, il y a peut-être des indices cachés. Je vais rejoindre les prêtres dans le hall, si d’autres travaillaient avec lui ils ne tarderont pas à venir s’assurer que je ne découvre rien de compromettant. Je vais me débrouiller pour te laisser assez de temps, mais fais vite.
Sans un mot de plus, il disparut, me laissant seule au milieu de la grande pièce circulaire. Ne perdant pas une seconde, je fouillai déjà les quatre lits en prenant soin de ne pas les défaire mais ne trouvai rien, ni sous les draps ni entre les lattes. Quatre petits coffres étaient également installés contre le mur mais ne contenaient que des vêtements, quelques pendentifs et des livres de prière.
Je soulevai d’une main le col de ma toge pour approcher de ma bouche le micro qui y était dissimulé.
VISALA : Les gars, cet endroit a l’air ennuyeux à mourir...
N’entendant aucune réponse, je me souvins que je ne portais pas d’oreillette et que la communication avec mes compagnons n’était qu’à sens unique.
Déjà à court d’idées, je me laissai tomber sur un lit et poussai un soupire de frustration, regardant partout autour de moi à la recherche d’un indice, mais le mobilier était très limité et la décoration, à l’image de celle du reste du temple, ne consistait qu’en quelques tapisseries accrochées aux murs et au plafond. Sans grande conviction, je m’approchai de l’une d’elle, plus par curiosité que par espoir d’y trouver quoi que ce soit d’intéressant. Elle représentait comme beaucoup d’autres -- la plupart, en fait -- le ciel, partagé au milieu entre la nuit et le jour, et l’accent était bien entendu mis sur le soleil et la lune. L’attention de l’artiste au détail me fascinait. Plus je m’approchais, plus le paysage devenait réaliste, et j’avais l’impression de pouvoir discerner chaque flocon de neige recouvrant la montagne.
Je ne sais pas ce qui me poussa à soulever la toile du mur, mais un morceau de papier en tomba alors à mes pieds, m’arrachant un sourire de satisfaction et un bref rire triomphal que je m'empressai d'interrompre en me rappelant de l'importance de ma discrétion.
Je me baissai pour ramasser la feuille pliée en quatre et l’ouvris pour en lire le contenu.
C’était une lettre écrite à la main et sur laquelle figuraient des instructions concernant le meurtre de Regis : sa description, ainsi que son emploi du temps et à quel endroit le trouver, et même où cacher le corps. Je ne pris pas le temps de déchiffrer la signature, préférant fourrer la preuve dans ma poche afin de déguerpir au plus vite, mais je tombai nez à nez avec un autre prêtre lorsque je voulus faire demi-tour pour quitter le dortoir.
Il devait avoir le même âge que Lohir à peu près, mais m’inspirait moins confiance, surtout après avoir enfoncé le canon d’un pistolet contre mes côtes.
VISALA : Betterave, non, broccoli !
LUI : Quoi ?
VISALA : Rien.
Il resta silencieux un instant, fronçant les sourcils, l’air un peu perdu. Me souvenant des conseils de Roxane, je tentai de rester aussi naturelle que possible, consciente que cela ne servait plus à grand chose au point où j’en étais.
VISALA : Hé, c’est toi, euh... Mec. Contente de te revoir.
LUI : Ne joue pas à ça, tu sais très bien pourquoi je suis là. Et on ne s’est jamais rencontrés.
VISALA : Si, je suis sure... C’était, euh... Au bar.
LUI : Un prêtre ? Au bar ?
VISALA : Oui, euh, au bar des prêtres. C'était pas toi ? Je confonds peut-être, ça doit être à cause de la toge...

LUI : Tu es consciente que les prêtres ne boivent pas ?
VISALA : J’ai bu un jus de carotte.
J’espérais qu’il ne remarquerait pas la frustration sur mon visage lorsque je réalisai que j'aurais pu profiter de ce moment pour laisser échapper mon signal de détresse de façon moins flagrante si j’avais été plus patiente, même si je n’étais pas tout à fait certaine que le jus de broccoli était réellement une boisson.
L’homme marqua une autre pause, essayant manifestement de deviner si j’étais bien son ennemie ou juste au mauvais endroit au mauvais moment, même si je devinais que sa décision était prise depuis longtemps.
VISALA : Broccoli.
De plus en plus suspicieux, possiblement à juste titre, il me plaqua contre le mur et me fouilla, découvrant rapidement mon micro, qu’il arracha d’un geste brusque avant de le jeter à terre et de l’écraser.
Je pouffai de rire, ce qui ne sembla pas lui plaire.
LUI : Quoi ? Tu trouves ça drôle ?
J’avais beaucoup de mal à garder mon calme : peut-être était-ce la simple vue de Jose vêtu d’une toge de prêtre, ou peut-être était-ce le fait que celle-ci soit si petite qu’elle lui arrivait aux genoux, ce qui avait d'ailleurs déjà dû trahir notre présence, même si par miracle il avait traversé tout le temple sans assommer personne.
Perplexe, l’homme suivit mon regard mais était face contre la pierre froide avant de pouvoir réagir.
Jose le désarma en lui cassant la main d’un coup de talon dans un craquement qui ne pouvait pas être agréable et l’immobilisa en s’asseyant dessus, tirant en vain sur sa toge pour cacher ses jambes.
JOSE : J’avais bien dit à Roxane que tu allais te foutre de moi...

ROXANE : J’avais bien dit à Flux que ça resterait pas de l’infiltration très longtemps avec vous deux...
Nous étions de retour à la cabane de Regis, notre nouvel invité grimaçant de douleur alors que le feu de la cheminée contre laquelle Roxane l'avait ligoté à une chaise pendant que Jose et moi nous changions lui caressait dangereusement les doigts.
JOSE : Ouais mais bon, on a quand même trouvé quelque chose alors c'est pas grave.
VISALA : Et personne n'était censé entrer pendant que je fouillais !
LOHIR : Il n'a rien voulu écouter ! J'ai prévenu Jose tout de suite !
JOSE : Ouais et d'ailleurs vous m'avez donné faim, tous, à parler de broccolis...

Roxane poussa un soupire d'exaspération que trahit cependant un sourire amusé et se tourna vers l’homme en faisant craquer ses doigts.
ROXANE : Maintenant il va falloir se dépêcher parce que peu importe qui est derrière ces meurtres, ils vont commencer à se poser des questions si tous leurs tueurs continuent de disparaître. Alors si tu nous disais où on peut les trouver, qu’on leur présente nos excuses ?
L’homme tenta en vain de cacher sa douleur mais ne répondit rien, fusillant la Meastienne du regard.
ROXANE : Si tu savais le nombre de personnes qui ont commencé comme toi et ont fini par me raconter toute leur vie... Alors on va gagner du temps, tu veux bien ? Qui te pose les questions ?
Elle pointa Jose du doigt, ce qui aurait surement été plus impressionnant si celui-ci n’avait pas été en train de préparer un sandwich pour Gwaimihr avec l’aide de Kyoko.
ROXANE : Lui ou moi ?
N’entendant toujours pas de réponse, c’est Jose qui prit la parole, sans pour autant lever la tête de la table de la salle à manger.
JOSE : Je te le laisse, je suis occupé.
Roxane afficha un rictus et posa un pied sur la chaise, juste entre les jambes de son prisonnier, s’approchant juste assez pour pouvoir murmurer sa réponse en le regardant droit dans les yeux.
ROXANE : J’espérais que tu allais dire ça. Laissez-nous seuls s’il vous plaît.
JOSE : On finit le sandwich et après on...
ROXANE : Maintenant.
Jose poussa un soupire et laissa tomber son assiette sur la table.
JOSE : Visala, viens nous aider, tu veux ? On va finir dehors.
J’attrapai un jambon et un couteau, imitée par Flux, et nous sortîmes tous de la pièce sous le regard confus de l’homme qui commençait de toute évidence à regretter sa décision alors que Regis jetai un dernier coup d’oeil hésitant dans la direction de Roxane.
REGIS : Ne sois pas trop brutale, d’accord ?
Elle hocha doucement la tête pour rassurer son ami, mais lui-même avait conscience de ce qui se passerait dès qu’il aurait fermé la porte.

JOSE : C’est quand même impressionnant. Il voit rien, mais il se prend jamais de mur. Si j’étais aveugle, j’aurais la tronche en sang tout le temps.
Jose était assis dans la neige, observant Gwaimihr d’un air attendri alors que celui-ci dévorait l’énorme sandwich que nous lui avions préparé au prix d’une bonne partie du garde-manger de Regis. Je m'empressai de lui répondre, ravie de pouvoir enfin mettre à contribution mes quelques connaissances vétérinaires.
VISALA : Les loups ont un flair puissant. Il utilise son nez pour se déplacer.
JOSE : Ca explique pourquoi il est toujours avec Flux !
Le Meastien se roula dans la neige, hurlant de rire à sa propre blague sous le regard consterné de Flux, qui préféra comme souvent ne rien répondre, même si lui-même peinait à cacher son air amusé.
Nous n’étions devant la maison que depuis une dizaine de minutes lorsque Roxane sortit, le regard noir, manifestement contrariée par ce qu’elle avait découvert.
REGIS : Alors, tu sais qui est derrière tout ça ?
La Meastienne sembla hésiter un instant avant de répondre, comme si elle n’avait encore décidé si elle voulait lui admettre la vérité.
ROXANE : Oui. Et ça ne va pas te plaire.
A suivre...