Episode 8

GLASS : Tu sais quoi faire, Jose : jette ton arme.
Poussant un soupire, Jose obéit, laissant tomber son revolver à ses pieds.
JOSE : T’es vraiment chiant avec ça, mec.
GLASS : Et je suppose que vous vous doutez des risques que vous prenez si je vous vois saisir une flèche, Mademoiselle Fisher ?
VISALA : C’est lui qui les a.
Ses yeux se posèrent sur le carquois accroché à l’épaule de Jose.
GLASS : En effet.
JOSE : T’étais vraiment le meilleur détective qu’ils avaient à Meast ?
Si les provocations de Jose laissaient d’habitude Glass de marbre, celle-ci sembla étrangement l’irriter. Le fusillant du regard, il enfonça le canon de son arme entre ses omoplates pour le forcer à avancer.
GLASS : Je vous avais prévenus que je reviendrais.
VISALA : Et moi que mon offre tiendrait toujours.
Pensant avoir déjà gagné, Glass voulut me jeter un dernier regard mais resta planté dans la neige en voyant le revolver de Jose entre mes mains, pointé droit vers sa tête.
GLASS : Vous êtes consciente de la puissance de cette arme, n’est-ce pas ? Vous avez autant de chances de tuer votre ami que de le sauver.
VISALA : Jose ?
JOSE : Fais-toi plaisir.
VISALA : Laissez-le partir, Glass.
GLASS : Hors de question.
VISALA : Ce n’était pas une question.
GLASS : Cela n’a plus aucune importance. Tirez si vous le souhaitez. Autrement, cet homme rentre à Meast avec moi.
VISALA : Vous voulez vraiment mourir, Glass ?
GLASS : Je suis déjà mort, Mademoiselle Fisher. Ce criminel m’a tout pris. Que pensiez-vous qu’il adviendrait de moi quand vous m’avez forcé à retourner à mes supérieurs les mains vides ? Comment étais-je supposé expliquer mon échec ?
JOSE : Je te l’ai déjà dit, on pense pas si souvent à toi, Glass.
GLASS : Ma carrière enterrée en l’espace de quelques instants. Je n’ai plus rien. Capturer enfin l’homme le plus recherché de Meast est ma dernière chance. Alors non, je ne veux pas mourrir. Mais je suis prêt à prendre le risque de vous faire confiance. Vous ne tirerez pas.
VISALA : Vous me connaissez mal.
JOSE : Attend, tu as dit que j’étais l’homme le plus recherché de Meast ?
Glass ignora Jose, son regard toujours plongé dans le mien, retenant son souffle.
GLASS : Peu importe ce que vous trouvez à ces individus, vous n’êtes pas comme eux.
VISALA : Vous ne l’emmenerez pas avec vous.
GLASS : Vous n'avez qu'un seul moyen de m’en empêcher.
Ses yeux se posèrent sur mon arme alors que mes bras se tendaient, prêts à encaisser le recul.
GLASS : Et vous ne voulez pas me tuer.
Une larme roula sur ma joue. Ma voix tremblait.
VISALA : Non.
Mon doigt se resserra sur la détente. Je fermai les yeux.
Le choc du coup de feu me fit lâcher le revolver, et j'enfouis mon visage entre mes mains, trop terrifiée pour oser regarder devant moi.
L’écho continua de résonner quelques longues secondes avant de replonger la vallée dans son silence paisible, me donnant à peine assez de force pour risquer un coup d’oeil dans la direction de Jose.
Le Meastien se tenait toujours au même endroit, observant d’un air impassible le corps sans vie de Marcus Glass, un halo rouge déjà dessiné dans la neige autour de sa tête.
Tremblant comme une feuille, je me tournai pour faire face à celui qui m’avait empêché de tuer Glass en tirant le premier.
Je n’avais jamais vu autant de peine dans les yeux d’un homme, alors qu’il laissait tomber à ses pieds l’arme encore fumante que Roxane avait confiée à Flux quelques heures plus tôt.
Ces quelques jours à Valordrim m’avaient appris une chose : rien n’était plus sacré que la vie, pour les prêtres du Soleil.
Pourtant, je n’imaginais pas la douleur qu’avait ressentie Regis en pressant la détente.
Nous laissant tous les deux bouche bée, le Dahlgaard fit quelques pas dans la neige et s’agenouilla lentement à côté de Glass. Les yeux rouges de tristesse, il posa une main sur la tempe froide du vieux détective, comme s’il tentait de le réconforter, mais lui-même était bien conscient qu’il était déjà trop tard. Il sortit de sous sa tunique un large pendentif doré représentant le soleil et le passa autour du cou de l’homme qui venait de changer sa vie à tout jamais.

ROXANE : Jose et Flux sont rentrés.
REGIS : C’est bien. Je préfère que Kyoko ne soit pas seule. Cela doit être perturbant pour elle.
Roxane, Regis et moi étions debout au sommet de la montagne où le Dahlgaard avait insisté pour porter lui-même le corps et les kilos de bois qu’il avait utilisés pour construire le bûcher sur lequel le pauvre homme brûlait depuis plus d’une heure dans la nuit noire.
Roxane prit son ami entre ses bras, une preuve d’affection assez surprenante venant de la jeune femme, qui me rappela ses mots alors que nous approchions de Valordrim quelques jours plus tôt : "Regis a toujours été là pour nous". Je me demandai tous les autres sacrifices qu'il avait déjà dû faire pour eux, et ceux dont il serait encore capable sans la moindre hésitation.
La Meastienne s’approcha ensuite de moi et posa une main sur mon épaule. Semblant lire dans mes pensées, elle m’adressa un sourire sincère avant de s’éloigner.
ROXANE : Je vous laisse tous les deux.
Le son de ses pas dans la neige disparut rapidement, masqué par le rugissement du feu.
J’allai rejoindre Regis près du bûcher qu’il ne quitterait pas avant l'aube. Suivant son regard, je levai les yeux vers le ciel nuageux que la lumière d'un mince croissant de lune ne traversait que par brefs moments.
REGIS : La Lune n’est pas avec nous ce soir. Elle est en deuil.
Mes yeux se posèrent alors sur le bûcher, et sur le pendentif en or que je pouvais encore apercevoir entre les flammes.
VISALA : On pourrait... Dire une prière, si tu veux ?
REGIS : Ce n’est plus mon rôle. J’ai pris la vie d’un homme, aujourd’hui. Je ne suis plus prêtre.
VISALA : Ca ne change rien. Tu es toujours... Tu es toujours Regis.
Il afficha un léger sourire, mais son regard trahissait toujours sa peine.
VISALA : Pourquoi l’as-tu fait, alors ?
REGIS : C’était mon devoir. Pas en tant que prêtre. En tant qu’Alavaar.
VISALA : Alavaar ?
REGIS : Il y a longtemps, les Dahlgaards étaient un peuple de combattants. Après la guerre, il y a des siècles, l’Empereur d’Odyssée a interdit toute forme de violence dans le pays. Plus d’armes, plus de soldats. Plus de bagarres à la sortie des tavernes. L’ordre des Alavaars est né à cette époque. "Les Gardiens", la dernière armée de Dahl. Ils étaient un groupe secret de guerriers, qui s’entraînaient dans l’ombre, prêts à défendre leur peuple. Dahl n’a jamais connu d’autre guerre, et les Alavaars ont commencé à s’éteindre. 
VISALA : J’en avais entendu parler... Je croyais que ce n’était qu’une légende.
REGIS : C’en est une aujourd’hui. Iriac était le dernier que je connaissais. Il ne reste peut-être plus que moi maintenant.
Il resta silencieux quelques instants, puis posa ses yeux sur moi, l’air un peu apaisé.
REGIS : Un Alavaar se doit de protéger les innocents, à n’importe quel prix.
Je laissai échapper un léger éclat de rire.
VISALA : Jose n’est pas exactement un innocent.
REGIS : Pas Jose. Toi.
Je me tournai à mon tour vers lui, confuse.
REGIS : Tu portes bien ton nom, Visala. Tu es courageuse. Et pure. Mais tu es aussi une guerrière. Tu aurais tué cet homme.
Je n’osai rien dire, craignant trop ma réponse.
REGIS : Prendre une vie est une expérience terrifiante. Tu le sauras un jour. Mais pas aujourd’hui.
Le souffle coupé, je regardai les flammes danser dans le vent marin glacial, et je compris enfin ce qui avait rapproché le prêtre Dahlgaard et Slayer Roxane. Comment deux personnes aussi différentes en tous points avaient pu se lier d’amitié et rester si proches au fil des années : Regis était juste ce genre d’homme.

FIN