Episode 3

Je saisis instinctivement mon arc, réalisant rapidement qu’il ne me serait d’aucune utilité tant que je n’aurais pas retrouvé Jose, qui portait mon carquois.
Déboulant maladroitement la pente la moins abrupte en vue, je criai le nom du Meastien, rassurée d’entendre presque aussitôt en guise de réponse un fort éclat de rire, qui ne m’aidait cependant en rien à déterminer s’il allait bien.
Me précipitant dans la direction du vacarme, j’arrivai après quelques instants en vue de Jose et du loup, qui avaient roulé sous un rocher et se débattaient à présent dans la neige déjà tâchée de quelques gouttes de sang.
La bête sauvage grognait de rage, envoyant de grands coups de crocs au hasard, manquant à plusieurs reprises de défigurer Jose.
Celui-ci, quant à lui, bien que blessé au visage et aux bras, semblait trouver cela hilarant, riant aux éclats en tenant par la gorge le loup blanc qui continuait de perdre ses forces, mordant l’air froid à pleines dents.
JOSE : Visala, regarde ce truc, il est adorable !
Sortant de mes pensées, un peu perturbée, bien que moins que je l’aurais été quelques mois plus tôt, avant ma rencontre avec les Slayers, je me précipitai dans la direction du duel, sans trop savoir ce que je ferais une fois sur place.
VISALA : Jose, mes flèches !
JOSE : Quoi ?
Etouffant un autre éclat de rire, il sembla soudain comprendre ce que je lui demandais pourtant très clairement, et afficha un air surpris.
JOSE : Non ! Tu vas quand même pas le tuer !
J’ouvris la bouche mais aucune réponse ne me vint en tête. Je cherchai rapidement un moyen de faire comprendre à Jose la gravité de la situation, que je jugeais pour ma part assez évidente alors que la pauvre bête se débattait de plus en plus hargneusement malgré l’épuisement, mais réalisai à contre-coeur que je n’avais pas assez de temps pour espérer faire entendre raison au Meastien.
VISALA : Qu’est-ce que tu veux que je fasse alors ?!
JOSE : Je sais pas, je croyais que tu étais vétérinaire !
VISALA : Pas dompteuse ! Il est affamé, pas malade ! Et je n’ai même pas fini mes études ! Et est-ce qu’on est vraiment en train d’avoir cette conversation maintenant ?!
Comme pour répondre à ma question, le loup parvint enfin à enfouir ses croc dans l’épaule de Jose, lui arrachant un vague cri de surprise.
JOSE : Hé ! Celui-là piquait. Ok tu m’as énervé.
Il enfonça brusquement son poing libre dans le museau du loup, l’envoyant à terre, sonné.
Se levant d’un bond, il l'observa quelques instants en silence, comme s’il attendait qu’il se relève.
JOSE : Bon, si j’ai bien compris...
Il prit le pauvre animal inconscient dans ses bras et se tourna vers moi.
JOSE : Maintenant tu peux le soigner ?
Je restai bouche bée.

J’ouvris la porte de la cabane et laissai passer Jose sous les regards ébahis de Roxane, Regis et Flux. Kyoko, elle, captivée par sa lecture, ne sembla même pas s'apercevoir de notre présence.
JOSE : Ouais, ouais, désolé, on s’est perdus, Visala était censée se souvenir de la route.
VISALA : Dans toute l’agitation j’ai un peu oublié, c’était très simple jusqu’à ce que tu commences à descendre la montagne en boul...
ROXANE : Ok, c’est passionnant mais si on commençait par la question la plus pressante, à savoir pourquoi est-ce que tu as un putain de loup mort sur ton dos, Jose ?
JOSE : Oh, ça.
Il laissa tomber la bête toujours assommée sur la table, lui arrachant un couinement de douleur.
VISALA : Il n’est pas mort, juste inconscient...
ROXANE : Encore pire ! On attend qu’il se réveille pour lui demander quelle sauce il préfère ou est-ce qu’on commence à se badigeonner maintenant ?
JOSE : Ok, premièrement, je crois que si il nous bouffait il en aurait pas grand chose à foutre de la sauce. C’est un loup, je suis presque sûr qu’ils cuisinent pas leur nourriture.
ROXANE : Ton deuxièmement a intérêt à être vraiment très bon...
JOSE : Deuxièmement, depuis quand tu as peur d’un loup ? C’est juste un gros chien.
ROXANE : Il y a une gamine dans la maison, bigot !
JOSE : Visala n’est pas une gamine ! Et Flux non plus !
FLUX : Et en parlant de gamine, on devrait peut-être éviter les grossièretés...

ROXANE : Je parlais de Kyoko !
Entendant son nom au milieu de la dispute, la fillette leva les yeux de son livre et s’approcha de la table d’un air curieux.
JOSE : Oh.
Il sembla réfléchir un instant, puis reprit son argumentation, interrompant Roxane qui avait voulu profiter de ce moment de silence pour mettre fin à la querelle sans queue ni tête.
JOSE : Et troisièmement, je l’ai amené ici pour que Regis le soigne, parce que Visala pouvait pas, je sais pas pourquoi.
VISALA : Est-ce qu’on doit vraiment avoir à nouveau cette conversation ?
ROXANE : Non !
REGIS : Vous lui faites peur.
Nos regards se tournèrent vers Regis, penché au-dessus de l’animal qui reprenait lentement connaissance, lui caressant doucement la tête. Ecartant d’un geste calme Kyoko, qui avait escaladé la table et ne semblait absolument pas craindre l’énorme loup qui m’aurait à son âge terrifiée (et ne me rassurait d’ailleurs pas entièrement aujourd’hui), il lui murmura un mot en Dahlgaard.
REGIS : Kyoko, huijn.
La petite fille descendit immédiatement et sortit tranquillement de la pièce, revenant presque aussitôt tenant à bouts de bras un bol d’eau fraîche qu’elle tendit à Regis. Celui-ci le posa sous le museau du loup, qui en but quelques gorgées sans ouvrir les yeux.
ROXANE : Tu vas vraiment le soigner ?
REGIS : Bien sûr.
Roxane laissa échapper un bref éclat de rire, secouant la tête d’un air incrédule.
ROXANE : Ce type n’arrêtera jamais de me surprendre.
FLUX : Que lui est-il arrivé ?
La question m’était manifestement destinée, mais c’est Regis, un sourire amusé aux lèvres, qui y répondit.
REGIS : Jose, sans aucun doute.
JOSE : Euh... Désolé. Visala était là aussi.
Je lui mis un coup de pied, me faisant certainement bien plus mal qu’à lui.
VISALA : Hé ! C’est toi qui l’as frappé.
JOSE : Pour te défendre !
VISALA : Il t’attaquait toi !
ROXANE : A chaque fois que je vous laisse seuls tous les deux, c’est la même chose. Vous êtes deux crétins...
Un grognement mit fin à notre conversation, et Flux attrapa Kyoko par la main, l’écartant à nouveau de la table sur laquelle elle était remontée.
Regis posa une main ferme sur l’épaule de la bête, et une autre sur sa hanche, l’empêchant de bouger alors qu’il reprenait connaissance et commençait à se débattre, sortant les crocs.
REGIS : Oraan, oraan...
Penché au-dessus du loup terrifié, Regis lui parlait d’une voix si douce et apaisante que je me sentis moi-même soudain très sereine, presque somnolente. Sa voix devint progressivement plus difficile à entendre alors que son visage s’approchait de plus en plus dangereusement du museau de la bête, qui contre toute attente semblait se calmer et ne se débattait presque plus.
REGIS : Kyoko, muijl.
A nouveau, la fillette sortit, et revint quelques secondes plus tard placer devant le museau du loup une assiette remplie de viande de lapin que celui-ci engloutit sans la moindre hésitation.
Regis sourit d’un air bienveillant.
REGIS : Vous voyez ? Il avait juste faim.
VISALA : C’est ce que j’avais dit...
Posant une main sur l’épaule de Kyoko, qui restait fascinée par la bête maintenant si calme que je ne la reconnaissais pas, le Dahlgaard s’adressa à elle d’une voix toujours aussi paisible.
REGIS : Comment veux-tu l’appeler ?
La fillette pencha la tête pour mieux plonger son regard dans celui du loup, et je remarquai pour la première fois ses deux yeux complètement blancs, réalisant pourquoi il avait eu tant de mal à mordre Jose : il était aveugle.
La fillette sourit et prononça enfin un seul et unique mot à peine audible.
KYOKO : Gwaimihr.
REGIS : Gwaimihr... Oeil de Lune. Très bien.
ROXANE : Tu vas... le garder ?
REGIS : Il est très maigre. Sa meute a du le rejeter car il ne parvenait pas à chasser assez. Il est si jeune... Il ne doit pas avoir plus de trois ou quatre ans. Je vais le nourrir, le soigner. Puis il sera libre de repartir vivre dans la nature.
FLUX : Tu es certain que c’est prudent ?
Pour toute réponse, Regis caressa affectueusement Gwaimihr entre les oreilles et le fit descendre de la table. Le loup s’assit tranquillement à côté de son nouveau maître sous nos regards stupéfaits. Jose se tourna vers Roxane, qui soupira d'avance.
JOSE : Je suppose que si je te demande maintenant si on peut adopter un loup aussi tu vas m’engueuler.
ROXANE : Grandes chances.
REGIS : Je ferais mieux de jeter un oeil à tes blessures aussi, Jose. Ca ne m’a pas l’air bien grave mais je ne voudrais pas que ça s’infecte. Prends une chaise, je vais chercher de quoi examiner ça.
Jose se laissa lourdement tomber dans l’un des confortables fauteuils de bois installés en face de la cheminée alors que Kyoko s’était à son tour approchée de Gwaimihr et lui caressait le museau, toujours aussi sereine.
JOSE : Parfait, pendant ce temps vous allez pouvoir m’expliquer ce qu’on fout ici.
ROXANE : A part trouver de nouveaux amis à Regis...
JOSE : De rien.
ROXANE : ... on a un tueur en série à attraper.
FLUX : Cinq prêtres du Soleil ont disparu ces deux dernières semaines. Aucun n'a encore été retrouvé.
VISALA : La police n’a aucune piste ?
FLUX : La police de Dahl a des moyens très limités et n'a généralement pas besoin de s'aventurer si loin des villes principales. Personne n'a été envoyé pour le moment, et sans preuves les autorités considèrent le problème comme une autre série de disparitions en montagne.
Regis entra dans la pièce, une petite trousse de cuir à la main. Il en sortit un flacon et un morceau de coton et commença à nettoyer les plaies que Jose avait au visage.
VISALA : Est-ce qu’on a des pistes ?
REGIS : Rien.
VISALA : Quel est le plan alors ?
ROXANE : Le plan, c’est qu’on attrape ce tueur, et qu’on lui casse la gueule nous-même.
VISALA : Ok, et comment on l’attrape ?
Roxane afficha un rictus, m’indiquant qu’elle avait tout prévu depuis longtemps.
ROXANE : On lui tend un piège, bien sûr.
Jose laissa passer un instant avant de briser le silence.
JOSE : Donc c’est un non définitif pour adopter un loup, ou est-ce que j’ai une chance de te faire changer d’avis ?

A suivre...